Histoire de la Société canadienne.

SOMMAIRE
Histoire de la Société canadienne.
LA SOCIÉTÉ ANTHROPOSOPHIQUE AU CANADA : 1953 À 2003. Préparée par Alexandra Barbara Gunther, Toronto, janvier 2003

Introduction
Dans le numéro d’« Aurore » de la Michaélie 1994, Bert Chase, qui venait de quitter ses fonctions de président du Conseil, revint sur l’histoire de la Société. Il décrivit un événement décisif qui eut lieu en 1975, lors de la 22e année d’existence de la Société.
Durant l’assemblée générale annuelle (L’AGA) de 1975 à Toronto, un représentant de la Colombie-Britannique se présenta à l’assemblée avec suffisamment de procurations venant de l’Ouest pour lui permettre d’exercer le contrôle sur l’issu des propositions soumises lors de cette rencontre. Bert Chase raconte : «Au lieu d’utiliser les procurations pour peser sur les décisions et favoriser l’Ouest du pays en particulier, il ressentit le besoin d’agir différemment. Sa décision lui vint de l’intuition suivante : c’est la profonde humanité perçue chez l’un des membres présents de l’exécutif qui devait prévaloir. Cet épisode – étant tout sauf anodin -, le conseil opta pour placer le caractère sacré de l’être humain individuel avant toutes questions d’ordre structurel et organisationnel jusqu’alors prédominantes. Ce fut un instant solennel qui ouvrit le cœur des participants à l’importance centrale et sacrée de l’humain. (Aurore I,1, 1994, p.12-13)

Cet événement imprévisible montre combien la force sous-jacente de l’esprit accompagne les efforts de celles et ceux qui travaillent à faire progresser de manière ordonnée le travail anthroposophique dans ce vaste pays. Dans ce contexte, le travail de la Société anthroposophique et de ses quelque 500 membres a évolué et pris forme, trouvant lentement sa propre direction.

Histoire de la société – Les Débuts
Les débuts remontent à la Pâque 1941. Date à laquelle fut posé le fondement de la branche torontoise de la Société anthroposophique en Amérique. Ceci se déroulait dans une ferme près de Bowmanville à l’est de Toronto. Sept des membres présents étaient des immigrants européens et américains récents : Else Weisheit, présidente, Stewart Easton, secrétaire. M. et Mme Freund, Dr Percy Ryber, Isabel Grieve et Harry Sprott.

Ces personnes ont travaillé et étudié ensemble ; elles ont tenu des conférences publiques jusqu’au 19 mai 1953, date de la naissance officielle de la Société anthroposophique du Canada. Vingt-six des trente-quatre membres fondateurs étaient présents ; parmi ceux-ci, il y avait Isabel Grieve, présidente, Else Whitehead (anciennement Weisheit), secrétaire-trésorière. De ces membres fondateurs, trois sont toujours parmi nous : Steven Roboz, maintenant à Vancouver, Hans Warner, toujours sur sa ferme à Muskoka, et George Blumenstock qui habite Toronto. Tel que cela ressort de nos archives, les débuts pionniers de cette époque furent plein de dynamisme, d’énergie et marqués d’un sens très vif de la mission dont les fondateurs se sentaient investis.

Dans les années 1980 et 1990, la plupart de ces pionniers et d’autres les ayant rejoints décédèrent. Aujourd’hui c’est avec gratitude et admiration que nous nous rappelons leur épopée et que nous nous relions à eux par nos cœurs et nos esprits à l’occasion de notre 50e anniversaire. Les cent trente-quatre membres qui ont franchi le seuil accompagnent notre grande famille spirituelle et leur aide est constamment disponible. Il suffit pour cela de leur ouvrir notre cœur et notre esprit. La chronologie ci-jointe documente les étapes franchies durant les 50 dernières années de notre travail. La présence de ce travail devient manifeste lorsque nous consultons le Répertoire des Initiatives canadiennes publié par la Société anthroposophique en Amérique. Ce répertoire fait état de l’existence de vingt-neuf branches et groupes, environ vingt-quatre écoles Waldorf et associations apparentées, trois établissements de formation pour les adultes, quatorze initiatives artistiques et d’art-thérapie, plusieurs cabinets médicaux et associations, dix associations agricoles rassemblant de grandes fermes, huit Camphill et autres organisations sociales, des bibliothèques, des libraires ainsi que dix-sept détaillants et prestataires de services dans divers domaines. Tout ceci suppose la présence d’artistes divers, de scientifiques et de chercheurs, de musiciens, d’artistes de la parole, d’eurythmistes, d’architectes, d’écrivains, de consultants et, bien sûr, de nombreux enseignants. Une grande partie de la littérature disponible et des informations détaillées à propos de tout cela est rassemblée à notre siège social national. Notre bibliothèque procure des services aux membres, soutient notre Conseil national qui coordonne nos travaux avec notre alter ego étatsuniens et avec le Goetheanum. Le siège national publie également un bulletin d’information, la «Lettre aux membres».

Histoire de notre Société – Autre Lien
Au Canada, du début jusqu’à aujourd’hui, les membres de la Société anthroposophique ont tissé des liens forts avec la Communauté des Chrétiens. La Communauté des Chrétiens a célébré ses premiers offices à Toronto en 1953, l’année de la fondation de la Société. Deux églises existent dont l’une se trouve à Toronto et l’autre à Vancouver. En se remémorant la naissance de toutes ces initiatives et en repensant aux questions soulevées par les membres, aux problèmes partagés, aux articles publiés, trois phases ressortent clairement, chacune émergeant avec ses caractéristiques propres. Nous ne devons pas oublier de mentionner les nombreuses contributions non documentées dont nous savons toutefois qu’elles ont débouché sur des actions efficaces. Elles ont ensemencé le terreau fertile du sol anthroposophique canadien d’où a germé des idées fécondes issues de cette «pensée du coeur» si essentielle à la saine évolution de notre époque. Ce travail de labour discret mais riche et abondant fut le fruit d’un travail patient dont il est fondamental de louer les sages efforts. La phase initiale de notre histoire porte le sceau de personnalités fortes venues d’Europe et des États-Unis. Des individus déterminés à faire rayonner les idées de l’anthroposophie. Les nombreuses conférences publiques données ont attiré un public toujours plus intéressé aux idées anthroposophiques. En plus de consacrer temps et disponibilité à ces activités, ils ont dirigé les personnes désireuses d’adhérer aux travaux de la Société vers les groupes d’études existant. Tout a débuté à Toronto lorsque nos pionniers se sont rassemblés pour former l’École de science de l’esprit. Cela a permis, grâce à leur persévérance, de concentrer la force de l’impulsion initiale qui a rayonnée, amenant de plus en plus de nouveaux membres. Les premières assemblées générales furent tenues à Toronto, mais Vancouver s’imposa rapidement comme un second centre de développement très actif. Vancouver et Winnipeg ont connu l’émergence de petits groupes de membres dès le début des années 1950.

 

CHEZ NOUS – À Hill House
Avec le recul par rapport à cette époque, on peut s’étonner du fait que le groupe Michael de Toronto ne soit pas à l’origine du financement et de l’achat de la Maison Hill House située au 81, Lawton Blvd à Toronto. Cette Maison, qui fut le premier centre officiel de la Société Anthroposophique au Canada, a été financée par l’argent de don de la succession du Dr Bruce Hill de Winnipeg, une ville située dans l’Ouest du pays.

Les quinze à vingt premières années de travail au sein de la Société au Canada furent le résultat du travail exclusif de sensibilisation entrepris par des conférenciers anthroposophes venus des États-Unis et de l’Angleterre. Le Goetheanum était considéré comme le centre de tout le travail et des membres du Vorstand vinrent nous visiter régulièrement. Au cours de ces années-là, il était habituel de compter 100 à 120 personnes assistant aux conférences publiques mensuelles tellement la soif de connaissance spirituelle était intense. Un membre du conseil visitait les groupes de l’époque afin d’assurer l’unité de l’ensemble. Alan Howard, suite à la tournée de conférences qu’il fit à travers le Canada et les États-Unis en 1972 remarqua une forte nostalgie des membres pour le travail effectué au Goetheanum. C’est au milieu de la première phase de notre développement que les premières initiatives apparurent via la fondation des écoles Waldorf de Toronto et de Vancouver. Plus le travail s’intensifia à travers le pays, plus le besoin se fit jour de rapprocher les membres en raison des disparités régionales et de l’immensité du territoire canadien. Le conseil national ambitionnait de réduire la distance considérable qui séparait les canadiens de l’Est et de l’Ouest du pays. Ils décidèrent d’inclure au conseil de la société, un membre provenant de chaque province canadienne. L’assemblée générale annuelle de 1976 eut lieu à Vancouver contrairement à l’habitude de la tenir à Toronto.

Histoire – Phase II
Au fur et à mesure que les membres anglo-canadiens devenaient plus nombreux, âgés et que, d’autre part, le Québec francophone affirmait sa volonté d’officialiser le français comme langue principale d’usage et de travail, la Société entra dans une seconde phase.

L’énergie s’oriente alors vers des initiatives qui se renforcèrent, notamment en ce qui a trait aux écoles Waldorf et au segment consacré à l’éducation aux adultes. De nouveaux centres se développèrent et prospérèrent jusqu’à ce qu’ils aient leurs propres locaux, notamment à Vancouver et Montréal. Plus s’imposait la volonté de croître, plus les membres remirent en question la pertinence de verser un soutien au Goetheanum situé dans la Suisse lointaine. Les gens sérieux qui avaient cherché et trouvé dans l’anthroposophie un enrichissement pour leur vie grâce aux cours, ateliers et conférences, demeurèrent dubitatifs quant aux transformations qualitatives perçue chez celles et ceux qui se disaient membres de la Société au Canada. Durant cette période, le nombre des membres se stabilisa autour de 500, alors que le cercle «d’amis» regroupé autour des écoles et des initiatives d’éducation aux adultes, notamment celui du «Rudolf Steiner Centre» à Toronto, s’élargit considérablement. Les membres réalisèrent l’importance essentielle du travail effectué à la périphérie de la société.

Un second motif parcourant cette deuxième phase fut une conscience accrue de l’importance du retour à la terre ; non seulement par l’agriculture et la création de villages Camphill qui se développèrent à l’instar des modèles européens mais aussi grâce à la tenue de conférences à travers le pays. Ces conférences mirent en valeur la topographie et la géographie présentes dans la littérature et abordèrent la question de notre identité aussi bien que celle concernant notre culture et notre histoire. En 1989, un effort concerté fut entrepris pour placer la contribution globale de l’anthroposophie au centre de notre culture, comme le faisaient déjà dans leurs domaines respectifs les initiatives ; une vaste exposition avec conférences et ateliers occupa durant dix semaines la bibliothèque publique de Toronto, la plus prestigieuse du Canada. Au cours de cette phase également, la voix des membres francophones du Québec amena un nouveau souffle grâce à son orientation artistique et pétillante ainsi que par la fondation en 1989 de la branche française Jean-le-Baptiste à Montréal.

Le travail vigoureux des initiatives périphériques et la force décentralisatrice de cette deuxième phase parut créer un vide dans la Société elle-même, particulièrement à Toronto. Avec le recul, cela permit de préparer le terrain pour examiner avec sérieux notre relation individuelle à Rudolf Steiner, à la Société au Canada et dans le monde ainsi qu’au mouvement. L’événement peut-être le plus décisif du cours de l’année 1989 de cette deuxième phase, fut la première conférence d’été de tous les membres canadiens tenue à la réserve indienne Stoney à Nakoda en Alberta. L’effet d’une chaleur réconfortante descendit sur tout le pays, et l’accent de ses chants vibre et résonne encore dans nos cœurs, à la recherche d’une nouvelle occasion de poursuivre sa mélodie.

Phase III.
Avec cet événement, la troisième phase, la plus intérieure et peut-être la plus difficile, a été enclenchée.

Dans cette phase, nous sommes appelés à reconnaître nos différences individuelles, prendre conscience des nœuds karmiques impliqués dans notre relation aux autres et du lien que nous avons avec les différents courants qui s’expriment à travers la société anthroposophique ; chacun d’entre nous appartient davantage à un courant qu’à un autre. Ces courants doivent apprendre à collaborer et ne plus agir dans l’inconscience des activités volontaires auxquelles chacun s’adonne. Travailler consciemment et de manière constructive avec ces courants est de plus en plus urgent. À propos des divers courants, on consultera avec profit l’ouvrage de B.C.J. Lievegoed « Comment sauver l’âme ». Et cette nécessité de notre époque se traduit de bien des façons par la tenue d’ateliers et de cours de formation en éducation, en biodynamie, en sociopédagogie pour n’en citer que quelques-uns. Toutes ces activités différenciées doivent se retrouver et s’unir dans une collaboration qui intègre le travail de l’un avec celui de l’autre. Cet apparentement inconscient doit trouver sa coordination grâce au travail intérieur d’éveil personnel et à notre relation aux autres même et surtout lorsque cela semble douloureux, improbable et exigeant comme par exemple fonder des écoles, passer d’une agriculture chimique à une agriculture biodynamique, etc. Cet effort de concertation entre les courants, nous l’attendons avec fébrilité et nous en saisissons l’importance afin de redonner un nouveau souffle à notre travail en commun. Plusieurs initiatives sur ce chemin se sont déployées et ont contribué à cette réalisation. Par exemple, le travail de Denis Schneider, créateur de l’Atelier d’Art Social de Montréal vient à l’esprit et peut refléter celui entrepris dans d’autres sphères d’activités. À l’occasion de notre 43e anniversaire, Denis a écrit dans l’une de nos «Lettres aux membres» que notre caractère « officiel » n’est pas aussi crucial pour les membres que le désir de nous rencontrer, de célébrer ensemble, d’apprendre à nous faire des images vivantes, d’être en présence l’un de l’autre et d’entendre « imaginativement » la voix de l’autre en observant ses gestes. (Aurore, III,1,1996, p.8-13) Le travail qui est le nôtre exige un éveil des forces du cœur, et à ce titre, sa nature exige un lent mûrissement. Il se manifeste par la qualité de l’écoute, l’attente patiente et la culture d’une disposition intérieure qui a permis au Canada de jouer un rôle pacificateur sur le plan des relations internationales, en sachant reconnaître quand le moment est venu de «parler juste» et d’intervenir efficacement dans la conversation entre nations. Et l’un des aspects de cette conversation entre voisins sur cette Terre nous a été offert par l’intervention d’Olaf Lampson auprès de ses collègues des pays du Pacifique ; par l’intervention de Monica Gold et de ses amis en Russie pour sensibiliser la population au problème de l’Etat islamique. Et comme bien d’autres l’ont fait encore dans le contexte du travail du conseil national en collégialité avec celui des États-Unis afin d’asseoir l’importance de l’École de la science de l’esprit. Dans nos liens avec nos collègues, il ne s’agit pas seulement, au sein de cet espace tiers, d’engranger le fruit du travail qu’ils exécutent et qui requiert souvent du courage et de l’audace mais de l’accompagner intérieurement afin de saisir davantage que des paroles. Ouvrir en soi un espace intérieur bienveillant capable de s’aligner sur le motif central de la biographie d’un collègue, de ressentir le combat qu’il mène à travers ses hésitations ou sa difficulté à formuler sa pensée qui, sans être inexacte, se fraie difficilement un chemin vers l’autre qui l’écoute.
La question de notre identité et de notre tâche en tant qu’anthroposophe dans ce vaste pays doit faire l’objet d’une compréhension éclairée du rôle convergeant des diverses ethnies dont l’esprit compose le tissu de la communauté spirituelle anthroposophique canadienne. L’extraordinaire confluence des divers peuples autochtones et européens qui se sont retrouvés ici après un flux migratoire qui remonte loin dans le temps. Il y a d’abord eu une vague très ancienne venue du Nord-Ouest vers le Sud, puis une vague venue du Nord-Est composée essentiellement de chrétiens européens dont l’installation a remodelé graduellement le visage de l’Amérique. Deux questions reliées à notre position géographique nécessitent une compréhension approfondie : la première est qu’en tant que pays largement nordique, nous n’avons pas encore entendu et répondu à l’appel du Nord. La seconde question prend une forme que Steven Roboz a souligné à plusieurs reprises suite à une indication apportée par Walter Johannes Stein : Comment trouver notre rôle précis en tant que Société anthroposophique multiculturelle compte-tenu du fait que la côte Ouest de l’Amérique du Nord joue un rôle important dans le travail que nous devons accomplir en ce siècle, car c’est là que l’Est et l’Ouest se rencontrent. Trouver la prochaine étape de notre tâche dans la région du Pacifique constitue un défi majeur, car il nous met en rapport avec des personnes issues de courants spirituels différents du nôtre, et que nous devons trouver le motif central qui relie chacun d’entre nous à tous les autres.

Dans cette perspective, une première approche a été vécue à Halifax en Nouvelle-Écosse auprès d’une communauté bouddhiste bien implantée à l’occasion du décès d’Anna Keefe. Baptisée catholique, membre de la Société anthroposophique au Canada et une amie chère à plusieurs membres de la communauté bouddhiste locale, Anna fut l’objet de trois funérailles différentes : celles du rituel catholique, celles de la Communauté des chrétiens, enfin celles de la communauté bouddhiste.