ANTHROPOSOPHIE EN MILIEU CARCÉRAL ENTREVUE AVEC RAUN GRIFFITHS, COORDONNATRICE ET DIRECTRICE DE L’ANTHROPOSOPHICAL PRISONOUTREACH, 17 août 2021

ANTHROPOSOPHIE EN MILIEU CARCÉRAL ENTREVUE AVEC RAUN GRIFFITHS, COORDONNATRICE ET DIRECTRICE DE L’ANTHROPOSOPHICAL PRISONOUTREACH, 17 août 2021

En novembre 2020, Raun Griffiths a accepté d’assumer la direction d’APOC. Depuis ce temps, Raun a été très active, se mettant en rapport avec détenus, responsables de bibliothèques dans les prisons, aumôniers en envoyant des infolettres et des livres. Je reproduis ici un entretien récent que j’ai eu avec Raun au sujet de son travail avec APOC.

 

Tim Nadelle : Lorsque je vous ai demandé de considérer la possibilité d’assumer la direction d’APOC, vous avez pris quelques jours de réflexion avant de répondre. Comment se fait-il que vous ayez finalement décidé d’accepter la tâche ?

 

Raun Griffiths : En effet, j’ai pris ces quelques jours de réflexion, car il fallait que je m’interroge moi-même pour voir si j’étais en mesure d’assumer la tâche. J’hésite toujours à entreprendre une tâche qui me semble trop lourde ou impossible à réaliser adéquatement. Il faut que je puisse entrevoir la possibilité de relever le défi, ne serait-ce qu’en partie.

 

J’ai été très touchée par la présentation donnée par Fred Janney lors du congrès d’Ottawa en 2016. Nous y avons assisté tous les deux, vous et moi. Fred avait fondé l’initiative Anthroposophical Prison Outreach aux États-Unis. Sa causerie a été fort motivante; Fred est un être exceptionnel. Il possédait les compétences nécessaires pour entreprendre un travail auprès des détenus. Mais au contraire de vous, je ne suis pas vraiment une personne d’initiative. Mais, quand il est devenu clair que vous étiez surchargé, j’ai senti que c’était le moment pour moi d’assumer le rôle.

 

En effet, j’avais un lien personnel avec le mouvement dans ce sens qu’un ami que je fréquentais pendant mon adolescence avait accumulé un grand nombre de contraventions – des contraventions de stationnement. Comme il n’avait pas les moyens de payer les amendes, il a choisi d’être incarcéré pendant 30 ou 60 jours. Je suis allée avec une amie lui rendre visite en prison. Quand nous étions sur le point de partir, il nous a dit : « Ne revenez pas me voir. Je ne veux pas que vous me voyiez ici. » Il avait honte des circonstances dans lesquelles il se trouvait. Alors, quand on entend parler de prison, je suis d’avis que nous sous-estimons la profondeur de l’impact que l’incarcération peut avoir sur un individu. Cela peut être particulièrement douloureux pour certains. Un détenu, c’est une personne qui est incarcérée. Mais ces individus sont avant tout des êtres humains. Et leur sort m’inspire de la compassion.

 

Tim : Comment vous y prenez-vous ? Quelles sont les méthodes concrètes utilisées par l’organisation ?

 

Raun : Nos homologues américains publient deux fois par an une infolettre de douze pages. J’envoie des exemplaires de cette infolettre aux vingt-huit institutions carcérales que nous avons ciblées. Pour réduire les coûts d’envoi, j’envoie une quinzaine d’exemplaires à chaque prison. Lorsqu’on pense qu’il peut se trouver des centaines de détenus dans un seul établissement, cela paraît en effet très peu. Le bulletin invite les détenus à demander la trousse d’introduction à l’anthroposophie, qui offre surtout des renseignements sur la question de la méditation. La trousse contient aussi une liste assez longue de titres d’ouvrages de Rudolf Steiner que le détenu peut commander absolument sans frais.

 

Christine Tansley, de la résidence Hesperus, ouvre le courrier reçu des détenus et, s’il s’agit d’une demande, fait une copie de la lettre qu’elle m’envoie par courriel. Dans la plupart des cas, je lis et relis la demande plusieurs fois et je dors là-dessus avant d’envoyer une réponse. Je peux décider d’envoyer au détenu en question une conférence de Rudolf Steiner, ou même donner un livre susceptible de fournir des réponses aux questionnements de cet individu. La trousse de base est de nature générale, mais les demandes sont presque toujours écrites à la main et elles fournissent un ou des détails sur les besoins ressentis par le détenu. J’y découvre quelque chose qui me permet de choisir ce qui pourrait répondre aux besoins personnels de l’individu, et j’adapte chacune de mes réponses dans ce sens.

 

Tim : Comment les détenus profitent-ils de ce qu’offre l’APOC ?

 

Raun : S’ils lisent l’infolettre ou qu’ils commandent de la documentation ou des livres supplémentaires, ils en profitent de bien des manières, comme le ferait tout individu à l’esprit ouvert. Avant tout, il s’agit de stimuler l’intérêt. La vie du détenu est ennuyeuse; elle n’offre que très peu de possibilités de développement de soi et encore moins de possibilités d’un développement spirituel. Certains détenus ont exprimé leur reconnaissance d’avoir connu quelque chose qu’ils trouvent significatif.   Les illustrations d’œuvres d’art de nature spirituelle ont incité plusieurs détenus à se mettre eux-mêmes à dessiner. Comme beaucoup d’entre nous, certains détenus se posent des questions sur le sens même de l’existence. L’APOC fournit des outils anthroposophiques qui peuvent les aider à s’orienter sur la voie de la découverte de la spiritualité. Parfois, lorsqu’un détenu commande une trousse ou un livre, il accompagne sa demande d’un commentaire pour expliquer son intérêt.

 

Quelques exemples : M.H. de l’Alberta fait la demande suivante : « Je viens de lire votre infolettre, et je m’intéresse beaucoup à la question de la méditation et la découverte de l’être intérieur. »

 

C.C. de l’Ontario : « Le numéro 33 de votre infolettre consacrée à l’expérience après la mort… Ce qui m’a attiré d’abord était le dessin sur la page couverture; j’ai continué à lire, et le contenu m’a intrigué. Mon père est mort il y a 21 ans, et grâce à la lecture de votre numéro, j’ai enfin trouvé une paix intérieure. »

 

J.M. de l’Alberta : « J’aurais besoin d’aide et de conseils. »

 

D.C. de l’Ontario : « J’ai le désir d’entrer en contact avec mon être intérieur. »

 

Tim : Quels sont vos principaux contacts à l’intérieur des institutions carcérales ?

 

Raun : Le contact avec le détenu se fait uniquement par courrier, et cet individu me connaît uniquement comme étant la personne-contact de l’APOC.

 

Je considère que j’ai de la chance lorsque je peux parler directement au téléphone avec le bibliothécaire ou l’aumônier de l’institution carcérale, et j’essaie de le faire là où c’est possible. Après chaque envoi postal général, j’essaie de contacter la prison par téléphone, souvent sans succès.

 

Lorsqu’un détenu commande un livre, je me mets en rapport avec l’employé de l’institution qui s’occupe de trier les envois, pour m’assurer que le détenu reçoit le volume qui lui est destiné. En plus de ces considérations purement logistiques, je me trouve souvent dans l’obligation d’expliquer ce qu’est l’anthroposophie. Il n’y avait jusqu’ici qu’un ou deux des responsables qui avaient déjà entendu parler de l’anthroposophie.

 

Tim : avez-vous reçu des commentaires positifs sur l’APOC de la part de détenus ou de bibliothécaires après avoir fait parvenir du matériel à l’institution ?

 

Raun : En raison de notre façon de procéder, nous recevons généralement des commentaires de la part des détenus seulement lorsqu’ils passent leur commande. Nous ne recevons qu’un faible nombre de commentaires de la part de détenus une fois qu’ils ont reçu leur commande. Mais ceux qui accusent réception de l’envoi expriment leur gratitude et, parfois, laissent même sous-entendre qu’ils commencent à appliquer quelques idées de Rudolf Steiner dans leur vie quotidienne. Voici un commentaire d’un détenu d’une institution carcérale à laquelle j’ai envoyé plusieurs livres :

 

I.R. de la C-B : « Merci d’avoir envoyé ces livres magnifiques … L’Initiation – j’avais lu jusqu’à la page 106 du volume lorsque j’ai décidé de reprendre la lecture à partir du début. J’apprends à écouter l’autre plutôt que de ne faire que parler moi-même. … Merci de m’avoir offert cette perspective sur le « monde réel. »

 

C’est souvent tout un défi que de m’entretenir avec les aumôniers et les bibliothécaires. Certains ne sont pas du tout ouverts à l’anthroposophie, dont ils ne savent rien et ne veulent rien savoir. Mais il s’agit néanmoins d’un groupe hétérogène d’individus qui ont un désir très sincère de servir d’autres êtres humains.

 

Une des bibliothécaires, une personne fort agréable, m’a suggéré de n’envoyer que des œuvres graphiques, étant donné le faible niveau d’alphabétisation parmi les détenus de son institution.

 

Quelques bibliothécaires sont à la recherche de dons, surtout s’il s’agit de livres récents qui n’ont pas l’air usés et désuets. Les bibliothèques dans les prisons sont mal financées, ou bien ne le sont pas du tout. Les livres reçus comme dons de la population en général sont usés et plutôt sans intérêt. L’attitude fondamentale qui règne est que quelque chose vaut mieux que rien du tout. Peut-être. Mais cela cache souvent un manque de respect non formulé. Si je fournis un exemplaire neuf du volume L’Initiation, je sais que le bibliothécaire l’exposera, montrant avec fierté la magnifique peinture de la couverture du volume. Cela peut paraître superficiel, car c’est son contenu que nous voulons faire connaître, n’est-ce pas ? C’est vrai. Mais lorsque la bibliothèque ne contient que des volumes sans intérêt, donnés par des gens qui n’en voulaient plus, on sous-entend par-là que les lecteurs eux-mêmes ne valent pas grand-chose. Une chose essentielle que l’anthroposophie nous apprend, c’est la véritable valeur de l’individu humain, sans égard aux circonstances de son existence. Ce message est transmis, toujours, par les mots de Rudolf Steiner. La nouvelle édition parle au lecteur, lui communiquant qu’il ou elle a de la valeur.

 

Tim : Qu’est-ce que votre travail comme responsable de l’APOC vous a appris sur le système carcéral canadien ?

 

Raun : Je suis étonnée du nombre d’êtres humains incarcérés dans nos prisons, et j’ai appris que j’ai encore beaucoup à apprendre concernant notre système carcéral ici au Canada. Une chose qui m’a particulièrement frappée, c’est la fréquence avec laquelle les bibliothécaires quittent leur poste dans quelques-unes de nos institutions. Ce n’est pas parce que j’ai établi un lien avec un/une bibliothécaire que j’aurais l’occasion d’entretenir les mêmes rapports avec son remplaçant d’ici à peine quelques mois. Je suis surtout reconnaissante de pouvoir mener moi-même une vie relativement dépourvue de contraintes.

 

Tim : Pour ceux et celles qui voudraient soutenir le travail de l’APOC, de quoi auriez-vous besoin en ce moment ?

 

Raun : Nos fonds seront épuisés d’ici quelques mois. Je suis donc à la recherche de financement pour l’année 2022. J’aurai besoin de couvrir les coûts de l’envoi postal global et des commandes de trousses et de livres de la part des détenus. Chaque envoi général coûte environ 600$, ce qui comprend le papier, l’impression de l’infolettre, les frais postaux et les livres. J’aurais donc besoin d’un montant total de 1 200$.

 

Et je tiens à remercier ceux et celles qui ont déjà soutenu notre projet. C’est grâce à vos dons que je peux continuer à réaliser ce travail.

 

Tim : En terminant, je veux vous exprimer toute ma reconnaissance, Raun. Les exigences croissantes de ma vie professionnelle ont fait que je j’étais plus en mesure d’accorder à l’APOC toute l’attention nécessaire. Vous étiez la personne tout indiquée pour assurer la relève. Votre énergie, votre enthousiasme, et les résultats obtenus ont confirmé la sagesse de cette transition. Il est intéressant de noter que nous avons tous les deux été touchés par la présentation que Fred Janney a donnée en 2016. Il est également intéressant de constater que vous avez pris la direction de l’APOC alors que nous venions tous les deux d’apprendre le décès de Fred Janney. Fred continue à être un esprit gardien pour cette initiative, tout comme il a été le fondateur et la force motrice de l’APOC aux États-Unis.

 

Un grand merci à Christine Tansley, qui continue de donner de son temps en tant que bénévole pour nous soutenir. Christine fait partie de notre initiative depuis le début.

 

Comment faire un don à l’APOC ? C’est facile. Voici trois manières de le faire :

 

Par la poste : Libellez votre chèque à l’ordre de la Société anthroposophique au Canada. Postez-le aux soins de Lynn Lagroix, Société anthroposophique au Canada, #131 – Hesperus Road, thornhill, ON, L4J 0G9. Veuillez joindre un mot expliquant que votre don est destiné à l’Anthroposophical Prison Outreach Canada (APOC).

 

Par Interac : Envoyez votre transfert Interac à mailto:info@anthroposophy.ca . Veuillez envoyer aussi un courriel séparé àmailto:info@anthroposophy.ca précisant que le don est destiné à l’APOC. Dans ce courriel séparé, indiquez le mot de sécurité pour le transfert Interac.

 

Par Canada Helps : Accédez au site suivant, faites votre don, et indiquez dans l’espace prévu pour envoyer un message à cette organisation charitable : Don APOC.

https://www.canadahelps.org/en/charities/the-anthroposophical-society-in-canada-inc/

Veuillez envoyer aussi un courriel séparé à mailto:info@anthroposophy.ca précisant que le don est destiné à l’APOC.

 

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