28 Oct CÉLÉBRER l’ART SOCIAL AUX MUSÉES D’OTTAWA – Denis Scheider
Revenu d’Ottawa, août 22-25, m’y voici encore, avec vous, pour revisiter intérieurement ses magnifiques musées : art, sciences, histoire, nature, aviation, guerre. Ces nouveaux temples qui nous racontent chacun son histoire de l’humanité. Pour revoir aussi cette ville phare, toute baignée de ressouvenance des vertus sociales de l’Ile de la Tortue (point focal de rencontre des diverses tribus amérindiennes en Amérique du Nord). C’est Douglas Cardinal, maître bâtisseur autochtone, architecte du Musée de l’Histoire à Gatineau, qui nous a fait découvrir cette palette de couleurs inclusives, au congrès de la Société anthroposophique au Canada ‘À la rencontre de notre humanité’, en août 2016. Cet artiste, initié par les anciens à la spiritualité amérindienne, dévoué à la phénoménologie goethéenne et lié à l’Anthroposophie, pose un regard conscient sur sa pratique et s’interroge sur l’avenir des Autochtones et de l’Humanité. En ce sens, il fait résonner les questions primordiales du chef d’œuvre de Gauguin (abordée à la fin de cet article) D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?
Douglas déploie par ses créations architecturales, les possibilités d’un nouvel art social. Il célèbre cet art de créer l’espace social avec les autres en imaginant des espaces de rencontres favorables où l’autre crée, avec soi et par soi.Reconnaissance internationale : Prix national d’excellence décerné aux Autochtones en 1995. En 1999, il reçoit la médaille d’or de l’Institut royal d’architecture du Canada, qui représente l’honneur le plus élevé conféré à un individu au Canada, conception du Musée national des Amérindiens du National Mall à Washington, DC, 1993 et plusieurs autres réalisation d’envergure jusqu’à aujourd’hui. Allez à son site pour voir les images de ses nouveaux temples aux formes organiques. Vous y verrez peut-être le regard ami du grand frère, le Goethéanum lui-même. http://www.djcarchitect.com/
Vendredi matin, 23 août 2019, Musée des Sciences
Avant d’entrer à l’exposition Léonard de Vinci, me voilà émerveillé face à toutes ces constellations extraordinaires de créations techniques, déployées tout autour. Je veux tout voir. Appareils et machines de tout acabit paradent au grand jour électrique. Grisé, puis surpris, mon regard s’active ailleurs, s’inverse vers l’intérieur pour contempler alors les innombrables mains humaines à l’œuvre au cours de l’histoire. Chaque objet est soudain enveloppé de leurs soins. Où seraient les brillantes idées des inventeurs sans ces sages mains pensantes ? Comment ces mains auraient-elles pu créer sans engager une part de leur cœur ? Volonté pour le travail bien fait ? Nous ne pouvons en douter, sans quoi ces réalisations seraient médiocres. Reconnaissance émue de ce temps avant la technologie numérique et la robotique. Cœur plein ciel aux mains d’œuvres pour les serrer toutes.
Soudain, volte-face foudroyante, le sombre périple du projet de vente d’Air Transat, une compagnie aérienne qui exploite des vols internationaux, réguliers et charters, se montre le bout du nez. Pour planer, toute la fin de semaine, au-dessus des musées, de l’hôtel, dans la rue même. Comment a-t-on pu défigurer ainsi cette création québécoise, basée à Montréal, spécialisée dans l’organisations de voyage de vacances. A-t-on pensé à cette main d’œuvre vaillante, à son sentiment d’appartenance, à sa qualité (ex. mécaniciens, formés non pour des tâches spécialisées mais conscients de l’ensemble des fonctionnalités de l’appareil). Oublions-nous les autres expertises, de service, sans lesquelles, rien de ce canevas n’aurait pris son envol ? Cette part de notre visage, ouvert au monde, était-t-elle déjà vouée au profit des actionnaires (nez en l’air) ? pour piquer du nez et bientôt disparaître ? Ailleurs ? Un triste exemple d’art antisocial ! Inapte à digérer, dans l’instant, l’impuissance, je me dessine calme, acceptant le lent processus d’humanisation de la vie économique. Je reste tout entier dans l’image vivante : chenille deviendra papillon. Création ex nihilo à venir. Aucune théorie ne peut m’être imposé, ni d’en haut ni d’en bas. Tout en perspective horizontale, j’esquisse l’exercice d’un penser responsable et conscient, partagé avec chacun(e). « Tout ce que j’ai en trop, tu l’as en moins, et parfois pour tes besoins essentiels ». J’aspire au vrai NOUS, formé de tous ces JE réveillés à l’économie fraternelle de l’avenir, une création sociale d’ensemble, sans précédent, qui s’appuie sur ses propres bases. Un possible, malgré tout discours dissuasif.
L’exposition spéciale Léonard de Vinci, apporte momentanément un baume. Les images de la Vierge aux rochers avec les deux enfants Jésus nous élèvent, ailleurs vers l’espoir. Conçue en un tout, cette exposition met en lumière la pensée de l’artiste. Les reproductions infidèles des peintures (couleur, luminosité, format) ne voilent en rien l’âme de chaque œuvre, si on réussit à placer chacune en soi, à la bonne place ! Ce lieu en moi où je trouve le sens, présent au contexte d’un musée de la science. La conversation s’engage entre visiteurs « La Joconde est toujours aussi belle », malgré toutes les triturations des experts de la photo numérique. Les maquettes en bois des machines font pauvre mine face à la grandeur des esquisses du maître, étalées sur les murs; comme des jouets d’enfants, elles sont néanmoins témoins, dans leur simplicité, du génie de Leonardo. Le spectacles audio-visuel, dans un grand cocon musical, présentait en boucle des énoncés du maître papillotant sur les murs comme des clins d’œil de conscience Je quitte la salle tout fortifié de ces multiples paroles à méditer. « L’art règne sur toutes les sciences, car il communique le savoir à toutes les générations du monde. » « On ne peut avoir plus grande domination que celle que l’on exerce sur soi » « Vivre sans amour ce n’est pas vivre. ».
Samedi matin, 24 août, Musée des Beaux Arts du Canada. National Gallery of Canada
Revoir Gauguin, pénétrer davantage dans son univers de couleurs assoiffées de liberté. Y a-t-il ici de petites œuvres ? Tout parle ici son langage. En reprochant la place faite à tant d’auto portraits, on risque de mal comprendre la place de l’auto portrait dans la peinture européenne, au sein de laquelle le JE a été cultivé : le moi se cherche aux delà des frontières des représentations physiques. Plusieurs tableaux évoquent la présence de l’Être du Christ, le Golgotha en arrière-plan. Gauguin se représente lui-même au Jardin des Oliviers, accablé, avec des cheveux vermillon. « C’est mon portrait que j’ai fait là … Mais cela veut représenter aussi l’écrasement d’un idéal, une douleur aussi divine qu’humaine, Jésus abandonné de tous, ses disciples le quittant dans un cadre aussi triste que son âme » (lettre à V van Gogh, avec un dessin de ce tableau, 8 novembre 1889).https://www.flickr.com/photos/7208148@N02/16587476472.
Un panneau de son périple biographique, lié à son besoin d’aller si loin dans l’espace géographique, nous le montre en route, loin de l’Europe. Pour se rejoindre dans son propre espace intérieur, s’y trouver, s’y perdre, pour créer puis dépasser ses frontières. Cette quête spirituelle de l’auto portrait l’a mené tranquillement à son dernier grand tableau. D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? Gauguin explique dans une lettre à son ami Monfreid les circonstances de l’élaboration du tableau : « Il faut vous dire que ma résolution (de suicide) était bien prise pour le mois de décembre. Alors j’ai voulu, avant de mourir, peindre une grande toile que j’avais en tête et, durant tout le mois, j’ai travaillé jour et nuit dans une fièvre inouïe […].je crois que non seulement cette toile dépasse en valeur toutes les précédentes mais encore que je n’en ferais jamais une meilleure ni une semblable. J’y ai mis là, avant de mourir, toute mon énergie, une telle passion douloureuse dans des circonstances terribles et une vision tellement nette, sans correction, que le hâtif disparaît et que la vie surgit […]. https://fr.wikipedia.org/wiki/D%27o%C3%B9_venons-nous_%3F_Que_sommes-nous_%3F_O%C3%B9_allons-nous_%3F Il est mort quelque années plus tard portant une conscience de l’au-delà qui l’a maintenu vivant. Bien que ce tableau ait été absent de l’exposition, il était bien présent dans le sanctuaire intérieur de chacun(e) qui le connaissait.
Puis je marche ailleurs dans ce magnifique musée pour savourer les œuvres amies qui me saluent chacune au passage « Je me souviens de toi, tu t’es arrêté, tu m’as déjà vue plusieurs fois et aimée ». Puis marcher dans les rues d’Ottawa à travers les cônes oranges. Montréal est soudainement beaucoup plus proche. La construction fait loi…là dehors…
Dimanche, 25 août, Musée de la Nature.
Bain rafraîchissant de papillons vivants, danses nuptiales tourbillonnantes de couleurs, autour de soi, puis sur soi, si on a la chance d’être l’élu du couple de l’instant. Puis au 3e étage, les cristaux sortent lumineux des ténèbres de la terre ; j’aurais voulu tous les manger avec leurs couleurs si appétissantes. Ces petits chefs d’œuvre, en nous présentant leurs formes toutes ordonnées, nous font prendre conscience de l’imperfection et du désordre de nos actions humaines. Rien n’est plus beau que la nature, excepté l’être humain qui se crée soi-même à travers l’art social, à imaginer dans son possible visage tri-articulée. Inspiration pour de nouvelles prises de conscience responsables. Pour de nouvelles peintures, couleurs et formes, dégagées de la perfection. Pour créer du neuf.
Le voilà terminée ce pèlerinage de musées au sein duquel la voix de la conscience sociale, incontournable présence, me suit partout dans ma quête de beauté pour apprivoiser la laideur.
Denis Schneider
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