25 Mai De la Société dans le monde: Réflexions sur l’attitude michaélique
Chers membres et amis de la Société anthroposophique au Canada,
L’humanité entière accompagne la grande « respiration » de l’être Natura. En expirant, la nature apporte les forces du printemps à tout l’hémisphère nord, pendant que dans l’hémisphère sud, elle entame les phénomènes qui signalent le repos automnal. Nous l’accompagnons avec la vie de notre propre âme, qui s’accélère devant l’éveil des forces de vie et s’intériorise lorsque les forces de vie se retirent.
Au cours des derniers mois, à ce processus vécu par la terre entière est venu s’ajouter un autre. En effet, une présence mystérieuse, impénétrable, s’est déferlée sur la planète. Nous l’avons vu s’étendre, d’abord lentement, mais s’accélérant ensuite avec une intensité implacable, touchant enfin tous les aspects de notre vie, toutes les communautés humaines.
Dans notre effort pour saisir la nature de cette noirceur envahissante, on nous inonde d’images montrant son visage extérieur. On nous tient régulièrement au courant de sa propagation impitoyable, dénombrant les milliers d’individus atteints, révisant constamment les prévisions au sujet de ses ravages. C’est comme si nous pensions qu’en nous imprégnant des images constamment changeantes de ses manifestations, nous pourrions nous approcher d’une compréhension du phénomène. Et pourtant, plus nous sommes confrontés aux détails, moins nous semblons comprendre sa nature – la nature de cette énigme qui nous poursuit avec une ténacité implacable. Mais comment l’envisager au-delà de la surface de tous les faits qui nous assaillent ? Comment faire pour voir au-delà de la surface des aspects que l’on nous décrit, qui ne sont qu’un voile ? Comment percer l’avalanche de détails pour saisir ce qui se cache secrètement derrière ?
Lorsque nous réfléchissons profondément à ces questions, nous sommes constamment amenés à nous interroger sur le point d’entrée de ce fléau. On nous présente des images d’animaux sauvages, de renards arrachés à leur environnement naturel, enfermés dans de minuscules cages, destinés à la consommation humaine. Ces images réclament notre attention, et, en effet, c’est en y dirigeant notre attention que nous nous rendons compte du fait que notre lien avec la nature est brisé, fracturé. Nous sommes confrontés à la souffrance inimaginable que nous infligeons au règne animal. Notre rapport, notre lien vivant avec la nature, est déchiré. Nous la considérons comme une simple ressource, une marchandise dont le seul but est d’assouvir nos besoins collectifs de consommation.
Quand nous dirigeons notre attention sur la bête sauvage en cage, notre sympathie pour cet animal particulier s’éveille. Mais, quel est notre lien avec l’être dont cet animal particulier n’est que la manifestation visible ? Nous avons perdu tout lien vivant avec les êtres divins qui se révèlent à travers la nature.
Mais comment acquérir une réelle compréhension de cette présence cachée qui cherche à nous accabler ? Qu’est-ce qui cherche avec un tel acharnement à fusionner avec l’humanité, se servant du renard en cage pour atteindre son but ? Pour aborder ces questions, il nous faut considérer quelque chose de fondamental concernant la nature de cette entité que nous nommons « virus ». Cela nous amène à considérer la nature de la vie elle-même, car l’entité en question n’est pas encore imbue de vie. Cette entité « non encore vivante » cherche constamment la chose que sa propre nature ne lui fournit pas. Elle existe au seuil de la vie, incapable de pénétrer dans le monde du vivant. Ceci a une signification des plus profondes; une entité énigmatique qui dans son évolution n’a pas encore atteint le royaume du vivant et ressent un besoin pressant d’accéder à la vie. Dans cet état de forte tension non résolue, cette entité cherche sans relâche à fusionner, à s’unir à des êtres vivants, et plus spécifiquement à des êtres vivants qui respirent. Elle cherche à fusionner avec les organes de respiration, à perturber la respiration, à la compromettre jusqu’à ce que la vie cesse. Et son besoin insatiable détruit justement la chose qu’elle désire si ardemment.
Le fondement naturel de tout être sensible – les animaux, les êtres humains – est le don du souffle, un processus miraculeux qui dépend entièrement de l’existence du manteau de verdure qui enveloppe la terre. Sans ce cosmos de plantes, sans le processus de transpiration végétale qui émet de l’oxygène, la respiration serait impossible. Et non seulement nous nous livrons à une consommation vorace du règne animal, mais nous dévorons aussi le règne végétal sans nous préoccuper de la place qu’il occupe dans l’ensemble du monde vivant.
Et cette invasion de notre processus respiratoire ne se limite pas à notre corps physique – elle pénètre jusque dans la vie de l’âme et de l’esprit. Notre respiration d’âme, qui soutient l’essence même de notre humanité, est paralysée. La communion d’âme à âme, si essentielle à la vie de la communauté humaine, se trouve emprisonnée. Cette entité ténébreuse a porté atteinte à la « respiration sociale » qui soutient la vie de notre âme précisément là où notre propre soi doit trouver son reflet dans la communauté. Mais cette atteinte va encore plus loin, s’insinuant non seulement dans les processus physiques et psychiques, mais aussi dans notre capacité de pressentir l’existence du monde qui se trouve au-delà de ce qui est perçu par les sens, nous empêchant de nous ouvrir aux êtres spirituels qui cherchent à venir à notre aide. Une angoisse collective nous enveloppe, nous emprisonnant dans notre perception de la surface du monde, dans les faits extérieurs. Nous avons cessé de respirer.
Comment donc pouvons-nous arriver à saisir ce que cet être néfaste voudrait faire pénétrer dans tous les aspects de la vie humaine ? Comment développer les capacités nécessaires pour faire face aux défis qui assaillent l’humanité et qui sont constamment en train de se métamorphoser ?
Au cours de l’année, la direction au Goethéanum et le Conseil des sociétés de pays – le cercle composé des Secrétaires généraux et des représentants de pays – ont porté cette question en la formulant comme suit : quelle posture, quelle attitude pouvons-nous développer pour faire face aux défis sans cesse croissants qui menacent l’humanité, et qui menacent toute vie sur terre ? La question s’est précisée : comment développer une attitude michaélique face à notre monde contemporain ? Quelle est en réalité une attitude michaélique ? Comment est-ce que je peux en être un digne représentant, l’assumer moi-même ?
Une piste pour aborder cette question si ample pourrait se trouver dans les représentations visuelles traditionnelles de l’être de Michaël. Comment les artistes ont-ils cherché au cours de l’histoire à rendre le geste essentiel de Michaël? Ces images pourraient nous servir de modèles pour saisir ce qu’est le rapport spécifiquement michaélique de l’être humain avec le monde. En effet, de ces observations nous pouvons retirer certains éléments récurrents : le regard orienté droit devant; le lien direct avec le dragon; le pied droit qui avance. En superposant ces images, nous pouvons percevoir comment elles sont toutes intégrées dans la magistrale statue du Représentant de l’Humanité réalisée par Rudolf Steiner. Bien que cette sculpture soit relativement bien connue, la grande figure centrale prend vie d’une nouvelle manière lorsque nous faisons un effort pour vivre intérieurement et accueillir en notre être ses éléments saillants. En prenant pour guide les représentations historiques de Michaël, nous pouvons tenter de pratiquer en nous-mêmes les trois aspects les plus significatifs : le regard, le cœur, le pied droit qui avance. Et, lorsqu’on les pratique, comment ces trois exercices peuvent-ils nous servir d’orientation ?
Contemplons le visage. Rudolf Steiner y accordait une telle importance qu’il se levait de son lit de malade pour y travailler pendant ses derniers jours. Les yeux de ce visage ne se dirigent ni à gauche, ni à droite, ni vers le haut, ni vers le bas – ils se dirigent droit devant, contemplant l’horizon du monde sensible aussi bien que le monde qui se trouve au-delà du sensible. Lors de la fête de la Michaëlie tenue à Vienne en 1923, Rudolf Steiner a attiré l’attention des participants sur la force que possède notre regard. Il décrit comment la nature tout entière désire intensément que les êtres humains la voient dans sa véritable essence. Il ne s’agit pas de contempler la surface du monde visible. Nous sommes appelés à pénétrer au-delà de la surface des choses pour en percevoir la réalité. Rudolf Steiner insiste sur le fait que le véritable acte de perception n’implique pas seulement la tête. Nous devons acquérir une toute nouvelle capacité, une faculté qui est essentielle pour permettre l’épanouissement de l’âme spirituelle : le cœur éveillé.
En dirigeant notre attention au geste de l’ensemble de la statue du Représentant, on ressent comment ce regard est en réalité créé par une délicate sensibilité rythmique du cœur. De magnifiques pulsations harmonieuses émanent du cœur vers les bras tendus. Ces membres étendus deviennent des organes de perception qui « voient en les pénétrant » les deux autres êtres de la sculpture, qui veulent s’insinuer de manière néfaste dans la vie humaine. Nous pouvons pressentir comment le Représentant « entend » ces grands défis qui confrontent l’humanité. Cette « écoute intérieure » se transforme en une perception encore plus pénétrante de la nature intime de ces deux êtres.
Et nous ? Sommes-nous capables « d’écouter intérieurement » ce qui agit dans le monde pour pouvoir commencer à « l’entendre intérieurement », pour commencer à en saisir intuitivement la nature ? Dans cette activité d’écoute-perception intérieure, notre cœur est-il suffisamment éveillé pour que nous soyons en mesure de pratiquer une perception qui transcende l’horizon du sensible ? Alors, nous pourrons faire rayonner vers l’extérieur ce qui réside au centre même de notre être. Nous ressentirons en vérité; et ce véritable sentir fera que nous ferons pénétrer notre force respiratoire dans l’activité de ces êtres ennemis qui cherchent à s’infiltrer dans les règnes de la nature et dans notre propre être. Cette activité d’ondes créées par la respiration du cœur joue un rôle central, fondamental, dans l’attitude « Michaël-Représentant de l’Humanité », une attitude qui peut révéler l’essence cachée des phénomènes sensoriels. Cette respiration du cœur, nous la vivons esthétiquement, car ce qui pénètre de manière rythmique au-delà du seuil du monde des sens s’éveille en nous sous forme de Beauté. Et cet éveil esthétique nous confirme que ce que nous percevons ainsi est Vrai.
Alors, pouvons-nous comprendre qu’en exerçant la « perception du cœur », qui vit à la fois dans et au-delà de l’activité sensorielle, nous atteignons ainsi une clarté qui permet au Représentant de l’Humanité de faire un pas en avant ? Car dans ce pas dynamique il y a une force qui pénètre jusque dans ce qui est encore inconnu. Nous n’avons pour nous guider que la confiance que, en dirigeant vers le monde une attention imbue d’amour, nous ressentirons résonner en nous ce que le monde veut nous communiquer. Alors, nous pourrons agir; et ainsi nous verrons si notre action reçoit une confirmation. Et c’est grâce à une telle confirmation que nous saurons si notre action est conforme au Bien.
Tournant de nouveau le regard vers notre monde contemporain pour essayer de saisir les profondes répercussions de cette présence mystérieuse sur notre société humaine, une question se pose : pouvons-nous sentir que nous sommes appelés à rencontrer les deux mondes, visible et invisible, avec une attention imbue d’amour; sommes-nous en mesure de percevoir en vérité, de prendre le temps de nous ouvrir complètement et entièrement à l’essence du monde sensible; de ressentir en vérité, pour faire rayonner notre essence humaine, notre chaleur, dans ce qui se révèle à nos sens; d’agir en vérité, surmontant notre angoisse, nos inquiétudes, pour faire le bon pas en avant ? Ces trois exercices, représentent-ils un progrès dans notre effort de faire de nous-mêmes de véritables représentants de l’attitude michaélique – cette attitude michaélique totalement ouverte et grâce à laquelle nous « vivons pleinement avec » le monde ?
Et maintenant, voilà que l’humanité se voit obligée pour le moment de se retirer de ce monde qu’elle a construit pour se satisfaire elle-même, ce monde que les êtres humains ont bâti en arrachant aux règnes de la nature ce qu’ils convoitaient. Or, les rues de nos villes sont devenues silencieuses. Ce que nous considérons comme étant nos plus grandes réalisations, nos monuments érigés pour nous célébrer nous-mêmes, dorment. Et dans cet état de quiétude, la nature s’active. Le chant des oiseaux résonne avec plus d’intensité. Partout sur le globe, les animaux sortent de leurs cachettes. Des sangliers se promènent dans les rues de Barcelone. Des coyotes ont rapidement envahi la ville de San Francisco. Au Mexique, des jaguars, qui sont parmi les bêtes le plus farouches, quittent les forêts pour rôder dans les rues des villes apparemment abandonnées. En Afrique, des lions, habituellement tout aussi farouches, se prélassent tranquillement sur les chaussées vides. Et en Europe occidentale, des renards regagnent furtivement les coins de terre qu’ils peuplaient jadis.
Je vous envoie mes salutations les plus chaleureuses,
Bert Chase,
Secrétaire général pour le Canada
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