27 Fév Elizabeth Veronica Ardagh 1920-2018
Elizabeth Veronica Ardagh est née le 17 mai 1920. Elle a donc vécu presque cent ans durant une des périodes les plus radicalement changeantes de l’histoire de l’humanité.
Fille de William Johnson, « gentleman-farmer » dans la région de Cornouailles, en Angleterre, Veronica aimait bien son frère Michael et adorait sa sœur Patricia. Elle était très proche de sa mère, Winifred Ardagh, qui était anthroposophe. Il paraît que c’est l’influence de sa mère qui a aidé Veronica à s’orienter vers un chemin de vie axé sur la recherche de la spiritualité. Une amie a fait la remarque que c’était peut-être l’anthroposophie qui a permis à Veronica de traverser le seuil d’une manière si paisible, si gracieuse. Et ceux qui ont eu l’occasion de veiller le corps ont pu remarquer combien son visage émanait paix et lumière. Ses forces de vie, sa qualité enfantine et sa joie étaient encore visibles dans son corps sans vie.
Et ceci témoigne d’une autre grande joie de sa vie – l’eurythmie, cet art moderne du mouvement qui cherche à rendre visibles la parole et la musique. Et l’eurythmie revigore aussi le corps physique, lui donnant vie et dynamisme. Et cela, on pouvait le percevoir même dans son corps mort. Veronica a suivi sa formation en eurythmie dans les années 30 à Dornach, en Suisse. Et chose remarquable, sa professeure d’eurythmie n’était nulle autre que Marie Steiner elle-même!
Veronica avait beaucoup d’amis très chers, dont Dorothy Haler. Mais il semble que c’est son amitié avec sa chère Thora Hawkes qu’elle considérait comme étant un des cadeaux les plus précieux de sa vie. Elles ont passé énormément de temps ensemble. Ma collègue, la révérende Susan Locey, a constaté : « Veronica a été très fidèle auprès de Thora, lui rendant visite tous les jours au foyer de soins pour appliquer de la crème Weleda sur son dos. Thora avait été infirmière de santé publique, et Veronica aimait l’entendre raconter les anecdotes sur l’aide qu’elle avait apportée aux moins nantis, surtout aux immigrants nouvellement arrivés ».
Veronica était d’un naturel enjoué, toujours en mesure de poser des gestes de bonté, mais en même temps souvent critique envers les personnes qu’elle rencontrait. Sa plus grande joie : la mer et les voyages. Sa destination de prédilection : la Thaïlande. Elle y est même retournée à un âge assez avancé. Et c’était en Thaïlande qu’elle a découvert l’enfant placé en foyer d’accueil qu’elle a soutenu pendant beaucoup d’années. Elle a également soutenu 6 autres enfants pendant plus de 30 ans. Elle donnait toujours généreusement chaque fois qu’elle le pouvait. Elle était d’un caractère stoïque, et ne se plaignait presque jamais. Pourtant, cette chère Elizabeth, qui a été son aide-soignante (avec la famille Martinez) pendant beaucoup d’années à la fin de sa vie, m’a confié qu’elle se plaignait quand même quand c’était l’heure de prendre sa douche. Veronica n’aimait pas la douche. Elle préférait se laver dans la mer, elle adorait flotter sur l’eau de la mer. Elle aimait flotter. C’est peut-être pour cela qu’elle est devenue eurythmiste – pour pouvoir traverser la vie en flottant.
Un autre collègue, le Révérend Peter Skaller, et Phyllis, sa femme, se souviennent très bien de Veronica. Peter m’a dit : « C’était un personnage fort original … une ‘Ur-originale’ à l’anglaise. Sa façon de s’habiller, de marcher, dans ses plus beaux atours avec ses écharpes d’eurythmiste – mais elle ne les portait jamais avec prétention; elle en aimait tout simplement les couleurs, en toute innocence ».
Elle fabriquait elle-même ses écharpes, les teignant avec des couleurs et des motifs extravagants. Dans son appartement, on les voyait jonchées partout.
Sa chère et inséparable amie Thora n’assistait pas aux offices de la Communauté des chrétiens. Mais cela n’avait pas d’importance. Veronica y assistait sans faute, assise toujours du côté gauche, à mi-chemin vers l’arrière de la salle.
Veronica avait un charmant petit rire et savait lancer des regards espiègles pétillants. Elle pouvait jouer la naïve, mais elle était loin d’être naïve, et ce pétillement dans les yeux faisait comprendre qu’elle était « toute là ».
À mesure que son corps faiblissait, on la voyait de moins en moins souvent à l’église. Elle a déménagé avec Thora dans un grand appartement au centre-ville. On commençait à remarquer des tremblements dans son corps et un chevrotement dans sa voix. Une fois, quand je suis allée avec Phyllis lui rendre visite à Toronto, elle est sortie dans le foyer de l’immeuble en pyjama; elle avait commencé à avoir des problèmes de mémoire à court terme; la démence avait déjà commencé à s’installer doucement.
Veronica, discrètement, et sans qu’on s’en aperçoive, était parmi ces êtres qui sont animés d’une immense humanité évoluée, comme un grand sage. Elle avait quelque chose d’un bouddhiste, ce qui pourrait expliquer son affinité pour la Thaïlande.
Je n’ai jamais entendu qui que ce soit prononcer une seule parole négative à son sujet.
Mais, voici la chose essentielle qu’il faut savoir. Lorsque j’ai déménagé à Toronto avec Phyllis en 1987, on a diagnostiqué chez Phyllis un cancer du sein. Veronica, qui nous connaissait à peine, a immédiatement donné 10,000$ à Phyllis pour qu’elle puisse suivre des thérapies alternatives. On ne le lui avait pas demandé; elle l’a fait de son propre gré, sans poser aucune condition. Que peut-on dire d’une personne qui pose un tel geste?
Je ne sais rien au sujet de ses finances, ni d’où venait son argent. Elle vivait très humblement. Cette liberté de pouvoir donner de l’argent pour aider les autres … c’était comme sa signature, son geste intérieur tout à fait unique.
Et peut-être cette signature de générosité dans la vie de Veronica fait-elle honneur à son célèbre homonyme. Car le nom Veronica vient de la légende de la jeune femme qui, poussée par la compassion, a donné son voile au Christ sur le chemin vers le Golgotha. Le visage du Christ s’est miraculeusement imprimé sur le voile.
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