06 Juil Èloge: Paul John Hodgkins (1947 – 2020) Jonah Evans, prêtre de la Communauté des Chrétiens
Lorsqu’un jour on a demandé à Paul de raconter son autobiographie, il a commencé comme suit : « Eh bien, j’étais très jeune quand je suis né, mais je ne m’en souviens pas du tout… »
Paul John Hodgkins est né le 31 janvier 1947 à Wolverhampton, près de Birmingham en Angleterre, dans une famille de classe ouvrière. Il avait deux frères. Il se décrivait lui-même comme un enfant rêveur. Et même s’il n’aimait pas beaucoup l’école, il a bien terminé sa scolarité dans une excellente école catholique pour garçons.
Il a commencé par travailler pour le gouvernement britannique à Londres. Mais, cela a été de courte durée, car à l’âge de 19 ans, Paul a eu l’inspiration de venir au Canada avec un camarade. Sa vie canadienne a débuté à Red Lake, en Ontario, où il a décroché un emploi dans une importante mine d’or. Il a gagné beaucoup d’argent. Il a dépensé beaucoup d’argent. Mais Paul ne s’intéressait pas beaucoup à gagner de l’argent ou à faire carrière.
Il n’était pas doué pour la technologie. En effet, ceux d’entre vous qui avez déjà essayé communiquer avec lui par courriel pourraient même penser qu’il était sérieusement défavorisé sur le plan technologique! Et pourtant, jeune homme, il a réussi à se faire engager chez IBM à Toronto. Et même s’il savait que cette entreprise était à la fine pointe du développement technologique, un jour il a décidé tout simplement de démissionner. Il n’avait pas de projet de vie, mais il ressentait que cet emploi était en train de détruire son âme. Ensuite, il a occupé une série d’emplois, entre autres chez Canadian Tire, dans des magasins d’aliments naturels, et comme professeur de Taï Chi.
C’était pendant son temps passé à Toronto que Paul a connu Simone Liche. Ils sont devenus assez rapidement un couple, et comme elle était québécoise, ils sont allés s’installer à Montréal. C’est là que son premier garçon, Philip, est né. La petite famille est retournée vivre brièvement à Toronto, où Paul a découvert des ouvrages de Rudolf Steiner dans une librairie. Ils sont ensuite allés s’installer à Ottawa, où Paul a suivi un stage de formation de professeur Waldorf et a accompagné un groupe scolaire pendant tout un cycle de huit ans. Et c’est pendant ce temps à Ottawa que Simone et Paul ont décidé d’un commun accord de se séparer.
Peu après sa séparation, Paul a commencé à se lier d’amitié avec Susan Richard, et ils ont fini par s’unir et par intégrer leurs deux familles. Du coup, avec l’arrivée des deux enfants de Susan, Will et Eveln, voilà que Paul était père de trois enfants. Peu de temps après, Susan est devenue enceinte de Charlotte. Lors de la fin de la scolarité de son groupe d’élèves de 8e année, Paul et Susan ont décidé de s’installer à Toronto pour que Philip puisse s’inscrire aux classes de niveau secondaire à la Toronto Waldorf School.
Ce retour a été difficile, mais heureux aussi : difficile parce que Paul ne réussissait pas à se faire engager à temps plein comme professeur à la Toronto Waldorf School – heureux parce que c’était l’époque où leur dernière fille, Beatrice, est née.
Désirant toujours être professeur Waldorf, Paul a accepté un poste à l’école Halton, à Burlington, en Ontario. Mais, au bout de quelques années seulement, la navette quotidienne est devenue trop ardue. Arlene Thorn, du Rudolf Steiner Centre, en plus d’encourager Paul à se consacrer à l’enseignement de l’anthroposophie aux adultes, a trouvé des moyens pour assurer que les enfants de Paul et Susan puissent terminer leur scolarité à l’école Waldorf. Et Arlene n’était pas seule à offrir à Paul la possibilité de suivre son destin. Paul lui-même a dit:
« J’ai reçu un appel de Timothy Cox, qui travaillait alors au Rudolf Steiner Centre, me demandant si j’accepterais de donner un cours sur La Philosophie de la liberté. J’ignore comment il avait appris que notre groupe étudiait ce livre. La veille de notre conversation téléphonique, j’en étais venu à me rendre compte que je n’étais pas du tout libre et que mon cerveau était bourré de connaissances complètement inutiles. J’avais mis de côté tous mes autres systèmes de croyances – Platon, les sciences, le catholicisme, le bouddhisme; je les avais tous remplacés par un système grandiose de croyances anthroposophiques, mais je n’étais toujours pas libre au niveau de ma pensée.
Dans un certain sens, j’avais une jambe de chaque côté de la clôture! Lorsque Timothy m’a demandé si je pouvais assumer un cours sur la Philosophie de la Liberté trois matinées par semaine, j’ai immédiatement répondu oui. En raccrochant le récepteur, je me suis demandé : « Mais qu’est-ce que je viens de faire là ? » J’ai donc eu besoin d’étudier le volume en profondeur, et grâce à ce travail, j’ai vécu une sorte d’éveil. J’ai pris conscience du fait que j’étais un être d’essence spirituelle. Et pour dire les choses brièvement, j’ai donné le cours et suis devenu célèbre du jour au lendemain! Était-ce possible que quelqu’un quelque part soit assez naïf pour croire pouvoir donner un cours sur La Philosophie de la Liberté? En effet, c’était le livre que personne ne comprenait. Mais voilà, je m’étais lancé.
J’ai commencé alors à donner de plus en plus fréquemment des cours pour adultes. Wendy Brown, qui venait d’inaugurer le programme des cours d’introduction du Centre, m’a demandé de me présenter un matin pour parler de La Philosophie de la Liberté, ce que j’ai fait. L’année suivante, elle m’a demandé de faire partie du comité de direction des cours d’introduction. Ce comité se réunissait toutes les semaines pour élaborer le programme de ces cours. À la longue, je suis devenu une figure-clé au sein du comité. »
Il possédait en effet ce don. Il a touché beaucoup de vies. Durant les 20 prochaines années, Paul a cultivé son amour pour l’anthroposophie en aidant beaucoup, beaucoup d’individus à trouver un lien avec cette science de l’esprit. Paul adorait l’enseignement : c’était un vrai professeur. Et il adorait l’anthroposophie. C’était un « philosophe de la liberté. »
Il avait le tour de rendre digestes les notions les plus complexes, de nous aider à percevoir le spirituel caché derrière le monde sensible, de rendre les réalités les plus profondes sous forme d’images et d’imaginations qui comblaient nos âmes.
Nous pourrions peut-être nous surprendre en apprenant que Paul avait des dons domestiques. Il adorait faire la cuisine, et pouvait se montrer même autoritaire lorsqu’il parlait de ce qui se passait dans « sa cuisine ». Lorsque les enfants étaient encore très jeunes, c’est Paul qui allait les réconforter dans la nuit. C’est lui qui préparait les boîtes à lunch des enfants, faisait le ménage, et conduisait les enfants partout où ils devaient aller, alors que Susan travaillait de longues heures pour soutenir la famille. Et quand Paul tombait sur quelque chose qui valait la peine d’essayer de comprendre, il ne lâchait pas le morceau tant que, patiemment, mais sûrement, il n’avait pas réussi à saisir la chose en question.
Ses enfants se remémorent les longues conversations téléphoniques durant lesquelles Paul démontrait son amour pour eux en écoutant attentivement ce qu’ils racontaient sur leurs propres vies.
Et l’amour va dans les deux sens. Le personnel des pompes funèbres a remarqué qu’il n’y avait pas de plaies de lit sur le corps de Paul. Car Will et Beatrice se relayaient la nuit pour changer la position de leur père dans son lit.
Et même si Paul s’occupait des détails de la maison et était en même temps un genre de philosophe-roi, dont le visage chevaleresque se révélait clairement à tous ceux qui l’ont vu disposé dans son cercueil, Paul avait vécu des moments de tourment. Il luttait constamment contre sa tendance à la procrastination. Il avait dû lutter contre un monde dans lequel il se sentait étranger jusqu’au moment où il est devenu professeur au Rudolf Steiner Centre. Il a souffert sous le poids du stress financier pendant la plus grande partie de sa vie. Paul a dit à propos de ses propres travers :
« Mourir ne me dérange pas du tout, mais, comme je l’ai évoqué plus tôt, le fait d’être mort m’incommode! Je vais devoir me confronter et confronter mon immoralité, et en même temps mon manque de conscience éveillée. Dans le monde spirituel après la mort, vous finissez par rencontrer des êtres spirituels qui pensent en vous. Vous voyez votre incarnation à leurs yeux. Plus on réussit à rester éveillé durant ce processus, mieux c’est. J’ai l’impression que je ne serai pas très éveillé là-bas. Ces derniers temps, j’ai ressenti pas mal de dégoût envers moi-même. Mais pas de manière morbide. Je ne suis pas enclin à concevoir la chose avec morbidité. Je suis prêt à assumer mon karma. Je veux essayer de réparer ce que je n’ai pas fait comme il faut et en supporter les conséquences au mieux de mes capacités, même si cela me cause de la souffrance. Mais tel que je me connais, je ne le ferai pas toujours. En jetant un regard sur ma vie passée, je vois les moments où j’ai choisi de ne pas faire ce qu’il fallait faire. Chaque cas d’immoralité révèle un effort dépensé pour éviter de prendre conscience de l’esprit. Ma vie a été remplie de beaucoup d’immoralité sous forme de mesquinerie, dans mes pensées et dans mes actes. Des mensonges, et ainsi de suite. Nous avons tous commis ce genre d’immoralité mesquine. Quand je prends le temps d’y penser, je vois que ces gestes s’accumulent, s’accumulent, s’accumulent. Je vois toute une vie remplie de telles actions. »
Comme beaucoup le savent, Paul a eu un lien assez trouble avec le christianisme durant la plus grande partie de sa vie, et plus particulièrement pendant ses jeunes années. Il a été élevé catholique, mais n’a jamais pu se résoudre à accepter ce qu’il voyait comme étant un dogme répressif et anti-humain qui muselait son intelligence et son sentiment de liberté. Il ne pouvait pas supporter le manque d’authenticité chez beaucoup des prêtres et religieuses.
Mais, à l’instar de Saint Paul, son passé n’a pas empêché le jeune homme de vivre une véritable rencontre avec l’Être du Christ-Jésus. Dans ses propres mots :
« Mon père souffrait d’arthrite rhumatoïde, et à mesure qu’il devenait clair qu’il allait mourir, je songeais aux gourous orientaux qui prenaient en leur propre être, par compassion, les maux et les maladies de leurs élèves. Je marchais dans la rue, souhaitant de tout cœur pouvoir aider mon père. J’ai pensé à ce que ce serait d’accueillir sa souffrance en moi. À ma grande surprise, je me suis rendu compte que je ne désirais pas vraiment assumer sa souffrance physique, la ressentir moi-même. Cet aveu m’a horrifié. Au moment même, j’ai ressenti une présence spirituelle, celle d’un être que j’avais connu toute ma vie, Celui qui prend sur Lui toute la souffrance du monde – c’était le Christ. C’était comme si le ciel était entièrement rempli du Christ – le Christ portant une couronne d’épines. Et ensuite, c’était comme si j’entendais – sans l’entendre en réalité – une voix qui disait, ou du moins que je croyais entendre dire : « Arrête de chercher ailleurs. »
Paul a vécu cette véritable rencontre avec le Christ-Jésus vivant à travers la souffrance de son père, avant de rencontrer l’anthroposophie. Le Christ l’a ensuite guidé vers l’anthroposophie pour qu’il puisse comprendre l’Être du Christ par la pensée. Et puis, vers la fin de sa vie, Paul a retrouvé le Christ à travers les sacrements, la prière, et la communauté de dévotion.
Il a trouvé son lien avec la Communauté des Chrétiens lors d’une conversation avec moi, un moment clé dans son destin, où il m’a demandé : « Alors, en quoi est-ce que la Communauté des Chrétiens est différente de l’Église catholique? » J’ai répondu spontanément que la Communauté n’accorde aucune valeur à une conformité non libre à des règles morales. Je lui ai dit que seul celui qui vient vers le Christ en toute liberté, celui qui comprend en toute liberté la nature de la moralité, a de la valeur pour Dieu. J’ai ajouté que ce principe était le fondement même du seul mouvement religieux d’inspiration anthroposophique.
Et c’est cette même année, à Noël, que Paul a vécu une profonde expérience du Christ lors de la Célébration de minuit. Pendant les trois années qui ont suivi cette expérience, Susan et Paul ont assisté à presque tous les offices de la Communauté. Je n’oublierai jamais l’aspect de son visage et de son regard lorsque je lui donnai la communion. Fixant son regard lors de ce moment intime de communion, j’apercevais une âme humaine consciente de ses faiblesses et pourtant consciente en même temps que le Christ était là pour le toucher de Son amour insondable. Il savait que le Christ était là, présent dans et à travers le prêtre. Et très récemment, j’ai compris la profondeur de sa connaissance de la réalité derrière les sacrements. Paul m’a confié lors de notre dernière conversation intime que maintenant que son corps et son esprit étaient en train de s’affaiblir, de défaillir, il ressentait comment l’expérience de l’Acte de Consécration était un fondement pour sa vie. Il m’a confié : « Les paroles venant à partir de l’autel me soutiennent. Maintenant que mon corps se détériore, cela m’ouvre à l’expérience que l’office de la consécration me donne la force de me tenir debout. » Et cette expérience de trouver le Christ au sein d’une communauté d’âmes en dévotion allait s’approfondir encore plus.
Car c’était dans un étrange hôpital de Hanoï que Paul avait vécu la plus profonde expérience de l’essence de la communauté du Christ. Le Christ est venu à lui alors qu’il gisait dans son lit d’hôpital. Il lui a parlé, imprimant dans son cœur la certitude que même le plus petit d’entre nous est aimé et porté. Il a communiqué à Paul qu’avec l’aide de Son messager, Rudolf Steiner, Il est en train de réunir une communauté autour de Lui qui devra, d’ici les prochaines générations, livrer une grande bataille contre les forces croissantes du matérialisme. Cette communauté devra assumer une lutte contre de puissants adversaires, des êtres qui veulent convaincre l’humanité que seul le monde matériel existe. Les êtres humains devront lutter contre l’image généralisée qui veut faire croire à l’humanité que l’intérêt personnel est la seule véritable force motrice d’action; que l’esprit et le monde spirituel sont illusoires; et que tout ce dont nous avons vraiment besoin, c’est de résoudre le problème de la souffrance physique pour atteindre un état de jouissance et de confort.
C’est ce que Paul avait de plus important à nous enseigner : la communauté est une réalité, l’espoir est une réalité. Les forces du matérialisme ne sont pas plus fortes que le Christ. Car il a appris par expérience que même la mort ne peut pas empêcher que de plus en plus de cœurs humains se rassemblent en Christ-Jésus.
Chers amis et chers membres de la famille : nous aimions Paul. J’ai aimé Paul. Il était mon ami. Mais, encore plus important, Paul était un véritable chrétien, et il continue de l’être. Il a bien porté son nom, car le prénom Paul signifie « petit, ou faible ». Il a vécu son humilité en comprenant qu’il ne pouvait pas devenir lui-même sans les autres. Il était petit parce qu’il connaissait Celui qui est vrai, Celui qui est grand. Il savait très bien que nous ne pouvons pas devenir nous-mêmes sans accueillir en nos cœurs l’Être de l’Amour.
Son deuxième prénom était John. Ce nom aussi, il l’a vécu. Tout comme Saint Jean a vécu l’avenir de l’humanité dans le Christ et l’a décrit dans son Apocalypse, Paul John a lui aussi vécu une imagination de notre avenir – de notre lutte future en tant que communauté réunie pour vaincre les forces des ténèbres.
Cher Paul, que ton esprit continue à nous inspirer. Que ta lumière continue à renforcer notre communauté et à nous donner de l’espoir.
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