21 Nov Entretien avec Micah Edelstein, président de la Société anthroposophique au Canada Accordé à Geraldine Snowden et Robert McKay le 25 avril 2020
Les pensées exprimées dans cet article sont exclusivement celles de Micah et ne doivent pas être conçues comme représentant les opinions de la Société anthroposophique au Canada.
Depuis le moment où cette entrevue a été accordée, Micah s’est retiré du conseil d’administration de la South Shore Waldorf School pour concentrer ses énergies sur la prochaine phase de la construction de cette école.
Geraldine :
Pourriez-vous nous raconter un peu qui vous êtes, quelque chose de votre biographie?
Micah :
Bien sûr. Je suis né dans une famille qui faisait déjà partie de la communauté de la Toronto Waldorf School. Mes deux parents étaient des membres actifs de la Société anthroposophique, et le sont encore. Mon père y donnait des cours de biologie et de travail du bois, et il a participé également à la dernière phase de la construction du bâtiment, qui n’était pas encore terminée. Ma mère travaillait au jardin d’enfants. Lorsque la clinique de médecine anthroposophique s’est ouverte, elle est allée y travailler. En effet, elle s’était formée comme infirmière en Allemagne et a œuvré pendant 22 ans à la clinique, assurant le contact entre les patients et le Dr Kenneth McAlister et faisant venir des remèdes d’Europe. J’assistais à mes cours à l’école Waldorf et allais ensuite à pied jusqu’au bureau du médecin pour y flâner, là et aussi à la résidence Hesperus attenante, pour attendre que ma mère ait terminé sa journée de travail. J’étais donc entièrement plongé, depuis ma naissance, dans cette communauté remarquable composée de la pédagogie Waldorf, de la médecine anthroposophique, et de cette résidence pour personnes retraitées.
Geraldine :
Pourriez-vous identifier quelques-unes des expériences qui vous ont préparé à rencontrer l’anthroposophie ou à vous guider en direction de l’anthroposophie?
Micah :
Je suis venu à l’anthroposophie, ou plutôt j’y suis revenu, seulement à l’âge adulte. J’ai été élevé, voire totalement plongé, dans le monde de l’anthroposophie. Mais lorsque je suis allé à l’université, j’en ai pris mes distances comme jamais auparavant. Je décris cette expérience sous forme d’images cosmiques. On se trouve en orbite, en un mouvement de balancier, atteignant le périgée et puis l’apogée. Or, mon périgée à moi, mon plus grand éloignement de l’anthroposophie, je l’ai vécu durant mes années d’université. Je dirais que je me trouve à l’heure actuelle à l’apogée, m’y plongeant toujours plus à mesure que je m’y implique, et cela comprend mon travail au sein de la Société. C’est Judy King qui m’avait demandé de devenir membre. Elle était en train de terminer son mandat de sept années comme membre du conseil, et, comme elle continuait à insister, au bout d’un an et demi j’ai dit oui. J’ai donc fini par devenir membre, mais avec l’intention de devenir également membre du conseil. J’ai travaillé plus ou moins une année avec le conseil, et on m’a demandé aussi de faire partie du conseil d’administration de la South Shore Waldorf School en Nouvelle-Écosse. Nous en sommes actuellement à réaliser la deuxième phase de la construction de cette école – donc, le périple continue!
Rob :
Quand on grandit avec l’anthroposophie, comme c’est votre cas, on ne l’a pas réellement faite sienne. Est-ce qu’il y a eu un moment où vous vous êtes enfin identifié à elle? Un moment de votre vie où vous auriez pu la rejeter, mais avez pris la décision de ne pas le faire, un point charnière?
Micah :
La question est pertinente. La réponse est oui, et, le moment venu, c’était très clair pour moi. Alors que j’étais plongé dans le monde universitaire, je ne pouvais pas m’empêcher de penser à l’anthroposophie. Je me suis rendu compte qu’elle était en moi, comme une destinée, un karma qui attendait sa réalisation. Et il était clair pour moi que cela n’allait pas arriver si je me tenais à l’extérieur des communautés et des centres où l’anthroposophie constitue de fondement de tout notre travail. Je savais que j’avais reçu quelque chose que je ne pouvais plus rejeter. Non, il fallait plutôt y plonger, travailler avec cette chose en moi. Et dès que je m’en suis rendu compte, j’ai senti que c’était la bonne décision à prendre. Je n’arrête pas de m’émerveiller devant sa richesse et de constater combien de choses on peut réellement accomplir si on travaille consciemment avec l’anthroposophie. C’est comme une véritable force dans le monde. Mais, bien sûr, il faut apprendre l’art de travailler avec elle.
Geraldine :
Quelle est l’œuvre de Rudolf Steiner qui vous a le plus marqué?
Micah :
Chaque livre que je lis me touche profondément. Je me souviens que Rudolf Steiner a dit qu’il n’était pas essentiel que l’on ait lu tous les livres qu’il a écrits, mais plutôt que le livre qu’on lit traite de ce qu’on fait dans la vie. Je suis donc conscient qu’il ne s’agit pas tout simplement de lire, car cela n’est pas de l’anthroposophie. L’anthroposophie doit vivre. Le livre qui m’a le plus impressionné récemment est La Mission de Christian Rose-Croix. C’est un volume extraordinaire traitant de l’être et de l’incarnation de Christian Rose-Croix et de sa mission, et de tout ce qu’il a rendu possible pour l’humanité. Si cette personnalité n’était pas là pour nous, certaines expériences nous seraient impossibles. C’est grâce à lui que l’humanité peut, par exemple, choisir une vie de souffrance qui mène finalement vers des vérités supérieures. Il y a là un lien profond avec l’histoire de Parsifal et avec les événements de notre propre biographie lorsqu’on les voit comme étant des chapitres de notre vie où d’importantes expériences de souffrance nous guident vers une compréhension tout à fait personnelle du Christ.
Geraldine :
Pourquoi pensez-vous que cela vaut la peine et qu’il est important pour le monde que l’on continue à approfondir l’anthroposophie?
Micah :
L’anthroposophie produit un effet homéopathique dans le monde. Les gens qui sont exposés aux idées de l’anthroposophie les rejettent d’office ou en prennent note. Et c’est un peu comme ça que je vois la chose. Cela continue à les aiguillonner. C’est une expérience stimulante de s’éveiller, de s’interroger réellement sur les choses qu’on risquerait, sans l’apport de l’anthroposophie, tout simplement d’accepter inconsciemment. Et j’ai l’impression que très souvent, c’est une contrevérité que l’on adopte comme étant vraie. L’anthroposophie apporte la vérité et les fondements de la vérité, et c’est cela son essence même. Il ne s’agit pas de dire qu’elle est la seule voie. Mais on pourrait dire qu’elle fournit le terreau qui permet à la vérité de croître et de s’épanouir.
Rob :
J’aimerais beaucoup vous entendre parler de l’agriculture biodynamique, puisque je sais que vous vous y impliquez à plusieurs niveaux. Et je sais qu’il y a des choses fort intéressantes qui se font en Nouvelle-Écosse.
Micah :
La biodynamie semble être une porte d’entrée à l’anthroposophie. J’entends souvent parler de gens qui découvrent la biodynamie et en deviennent passionnés. Et de cette manière, c’est un premier contact avec l’anthroposophie. En ce qui me concerne personnellement, j’ai eu moins de contact direct avec la biodynamie ces derniers temps, surtout à cause de mon travail pour la Société et pour la South Shore Waldorf School. Mais, aujourd’hui même, j’ai aidé à construire un jardin pour la Robert Pope Foundation, ici près de l’école. Robert Pope, frère de Doug Pope, est décédé d’un cancer, et la fondation a été créée en sa mémoire. Doug tenait absolument à ce projet d’aménager un espace où les artistes peuvent venir suivre des formations et profiter d’un lieu de retraite dans un décor naturel. Doug et moi sommes de grands amis. J’aide aussi Kaitlin Brown, professeur au jardin d’enfants, à aménager une ferme biodynamique de 25 acres située à proximité de l’école. Appelée the Land of Milk and Honey (Pays de cocagne), la ferme possède des chèvres laitiers, un âne et un mouton. L’année prochaine, une vache viendra se joindre à l’ensemble. Cette ferme doit jouer un rôle essentiel pour la communauté de l’école. En effet, Kaitlin est catégorique : l’être humain a besoin d’un contact avec l’animal. Moi-même, je trais les chèvres pour elle.
Rob :
Comment a été jusqu’ici votre expérience au conseil d’administration de l’école Waldorf?
Micah :
Cela a été une expérience très positive. Je dois dire que je n’ai jamais été très chaud à l’idée de travailler au sein d’un conseil d’administration. Et voilà que maintenant je siège à deux conseils d’administration! Mais jusqu’ici, j’ai réussi à travailler d’une manière qui me plaît, c’est-à-dire que j’arrive à y apporter quelque chose de nouveau, de travailler à partir de la volonté, ce qui veut dire aussi que l’on travaille à partir de son karma. Je ne crois pas que les conseils d’administration soient généralement efficaces en ce qui concerne, par exemple, le développement d’une vie spirituelle saine. Ils peuvent même nuire au progrès spirituel. Les problèmes que l’on constate dans bien des écoles Waldorf à l’heure actuelle découlent de l’incapacité des conseils d’administration et du corps enseignant à travailler à partir de la vie de l’anthroposophie. Rudolf Steiner a exprimé clairement combien sont essentiels pour la pédagogie Waldorf la vie anthroposophique et le travail à partir de l’anthroposophie. Les deux choses sont intimement reliées, comme le jour et la nuit. On comprend donc comment il ne faut pas que les deux choses soient séparées, que ce soit au niveau du conseil d’administration ou à celui du corps professoral. En effet, c’est la vie de l’anthroposophie qui établit l’équilibre entre la pédagogie et la culture Waldorf et les exigences de la vie matérielle et légale auxquelles font face les conseils d’administration. Ce que j’apporte à mon travail au sein de l’école découle de mon expérience vivante d’avoir été nourri par une communauté et une pédagogie anthroposophiques. Il faut se rendre compte des effets bénéfiques produits lorsqu’on travaille avec l’être spirituel de l’école et que l’on est conscient en même temps des mentalités excessivement matérialistes qui peuvent introduire quelque chose de malsain ou même de destructeur pour la vie spirituelle. Katja Rudolf est membre de notre communauté ici à la South Shore Waldorf School. Elle avait aidé à sauver la Toronto Waldorf School lors de sa crise financière. Je travaille avec elle à réunir notre expérience commune pour éviter que de semblables écueils au niveau des idées et des décisions agissent à l’encontre des éléments qui nourrissent les écoles Waldorf et leurs communautés.
Rob :
Pourriez-vous me donner un exemple pour étoffer ce que vous voulez dire?
Micah :
Un grand danger qui guette le mouvement dans son ensemble est qu’une école Waldorf ne s’affiche pas avec fermeté comme étant une école Waldorf. On constate une certaine timidité au niveau des conseils d’administration de se tenir devant le monde en tant que pédagogie d’inspiration spirituelle. Les conseils d’administration sont généralement constitués de professionnels qualifiés qui ont d’excellentes compétences dans les domaines légal et commercial. Mais, si ces considérations deviennent la force motrice derrière les décisions pédagogiques, c’est, selon moi, le début de la fin. Car cela, ce n’est pas là travailler avec « l’être » d’une école Waldorf. Nous devons certes respecter quelques exigences légales, et les finances doivent être bien gérées, mais l’école a besoin de voix fortes qui parlent avec confiance de ses fondements spirituels.
Rob :
Donc, tout effort pour cacher l’anthroposophie sous une botte de foin, pour ainsi dire, tend à empêcher que l’école devienne ce qu’elle doit être?
Micah :
Selon moi, c’est exactement ce avec quoi la plupart des écoles doivent lutter à l’heure actuelle, cette question de déterminer dans quelle mesure l’anthroposophie vit au sein de l’école. Je me suis heurté à l’AWSNA lors de la planification du congrès des anciens élèves des écoles Waldorf, et je crois que cette association pourrait créer des défis pour la pédagogie Waldorf du fait qu’elle détient des idées assez rigides sur la pédagogie Waldorf, ce qui va à l’encontre de l’esprit même de cette pédagogie. Il faut permettre la diversité. On devrait permettre au corps enseignant de chaque école d’être unique et de placer ces grandes âmes (les professeurs) au premier plan . Chaque école doit refléter les gens qui y enseignent. Et, bien sûr, chaque être humain est unique en soi, ce qui fait que l’âme de chaque école aura son caractère distinct. Mais, c’est l’anthroposophie qui soutient et qui lie toutes les écoles entre elles. Dans ses conférences sur la pédagogie, Rudolf Steiner s’adresse en réalité à l’expérience intime du professeur. Pour que l’élève accueille la matière de manière vivante, un professeur qui enseigne les mathématiques, par exemple, doit relier les maths à sa propre biographie, à sa propre expérience de vie. Et cela va à l’encontre de ce que préconise l’enseignement standardisé, selon lequel l’enseignant n’a pas beaucoup d’importance, où il s’agit simplement de couvrir la matière. Dans ce cas, au lieu de ressentir qu’il est en présence d’une sagesse vécue, l’élève n’a qu’une bouche qui débite des paroles.
Voici un autre exemple. J’ai accepté de travailler à la construction de l’école, pensant que la communauté viendrait participer, parce que je voulais qu’il s’agisse d’une initiative de renforcement de l’esprit de communauté. Dans mon idée, cela renforcerait en même temps l’être de l’école, qui pourrait ainsi continuer à grandir et à être bénéfique pour les élèves. Or, à ma grande surprise, ce n’est pas des parents que cette participation est venue. Plutôt, ce sont les élèves des quatrième et cinquième années qui sont venus vers moi, durant la récréation, me demandant s’ils pouvaient mettre la main à la pâte. Au début, j’ai pensé : « Non, je ne peux pas leur dire oui. » Mais je me suis rendu compte que je n’avais plus le choix, car il y avait un grand trou qu’il fallait remplir. En jetant un regard autour de moi, j’ai vu qu’il y avait beaucoup de pierres tout autour. « Hé, les enfants » leur ai-je dit, « Prenez chacun des pierres et lancez-les dans le trou. » En l’espace de vingt minutes, le tour était joué, mais les enfants n’arrêtaient pas de me demander s’il y avait autre chose qu’ils pouvaient faire.
Il y a deux jours, un des enfants était en train de m’aider à installer les bardeaux sur le revêtement lorsqu’il m’a dit qu’il avait de l’expérience. Or, il n’a que huit ans. J’ai préparé le matériel pour lui, et il s’est mis à clouer les bardeaux sur le revêtement, et il m’a demandé ensuite si je lui permettrais de prendre les mesures. Je lui ai dit que oui, qu’il devait mesurer des longueurs de quatre pouces et demi. « Sais-tu comment faire ça? » Il m’a répondu que non. Alors, je lui ai montré le galon à mesurer et lui ai dit : « Tu sais, ce sont ici des pouces, et un pouce contient quatre quarts. Tu vois indiqué ici en bas combien il y a de quarts dans le pouce entier. » Et j’ai poursuivi : « Es-tu assez grand pour apprendre les fractions? » Il n’a pas vraiment répondu. Après avoir repris mon travail, j’ai eu un moment de panique lorsque je me suis rendu compte que je l’avais laissé continuer sans le surveiller. Il était déjà en train de poser la rangée suivante. Je suis allé y jeter un coup d’œil rapide et – tout était parfait! Il avait parfaitement compris comment mesurer les quarts de pouce. Et je me suis dit, oui, c’est ça la véritable pédagogie Waldorf, car le geste pédagogique passait par ma propre expérience. C’était quelque chose de solide. Il n’y avait là aucune abstraction.
Geraldine :
Donc, l’enfant sait; il sent maintenant que cette école est son école à lui.
Micah :
C’est ça. Il s’agit d’un lien très profond qu’il portera en lui pendant toute sa vie. Donner à un enfant une expérience directe, c’est lui donner un fondement solide pour toute la vie. Quelle que soit la tâche que la vie lui donnera, il aura toujours le sentiment qu’il pourra l’accomplir.
Rob :
C’est une très belle histoire. Je l’adore. Parlons un peu maintenant de votre nouveau rôle au sein du conseil. Vous êtes actuellement président de la Société, une tâche qui consomme une grande partie de vos énergies ces jours-ci.
Micah :
Eh oui, surtout au cours du dernier mois, car l’AGA est à nos portes et j’ai lutté avec un enthousiasme michaélique pour qu’on la tienne malgré tout. Et nous allons le faire! Nous n’allons pas nous laisser arrêter. Mais ensuite, il est devenu clair que la tenue d’une assemblée traditionnelle serait dommageable. Alors, nous nous sommes posé la question de savoir si nous tiendrions l’AGA plus tard dans l’année. Cette option ne nous semblait pas être la bonne, étant donné que notre règlement officiel stipule que nous tenions notre assemblée générale annuelle avant le mois de juin. Alors, nous avons pensé tenter de la tenir virtuellement, mais cette possibilité demandait qu’on l’examine avec le plus grand sérieux. Que voulait dire tenir une AGA virtuelle? Comment l’organiser? Et de quelle durée? Les membres ne resteraient certainement pas en ligne pendant huit heures de temps. Alors, comment tenir une assemblée générale dans un temps beaucoup plus restreint?
Au début, j’étais contre l’idée. Mais maintenant, la perspective de cet événement m’enthousiasme. J’ai l’impression que ce pourrait être une expérience agréable, et que nous pourrions retrouver la plus grande assistance jamais vue parce que les membres de partout à travers le pays pourront y assister, et non pas uniquement ceux qui habitent la région dans laquelle elle se tient. Certaines personnes n’aimeront pas le format et refuseront de participer. Et cela, nous le comprenons, car, et cela va sans dire, nous reconnaissons combien il est important de se rencontrer de personne à personne. Nous avons maintenant entériné cette nouvelle possibilité dans notre règlement. Ma formulation originelle visait à prévoir cette option seulement dans des circonstances exceptionnelles, parce qu’il y a toujours le danger qu’un conseil futur décide de tenir une AGA virtuelle par pure commodité, et non pas pour des raisons de nécessité. Cela est donc quelque chose que nous devons porter intérieurement.
Le travail au sein du conseil s’est avéré formidable. Il est amusant de me rappeler comment j’en suis venu à assumer le rôle de président. Dorothy LeBaron tenait à tout prix à ce que le prochain président soit choisi avant qu’elle ne quitte le poste. Elle avait fait un travail exceptionnel, et j’ai beaucoup aimé travailler sur le conseil avec Dorothy comme présidente. Elle a donc collaboré avec Jef Saunders pour essayer d’identifier un des membres du conseil pour devenir le prochain président. Comme nous le faisons lors du choix d’un nouveau Secrétaire général, nous proposons quelques noms et considérons chacun attentivement avant de procéder à un vote qui comprend trois tours de scrutin, car nous avons tous nos premier, deuxième et troisième choix. Nous en arrivons finalement à un consensus.
J’ai exprimé à tous que je pensais sérieusement qu’il fallait trouver une nouvelle manière de gérer la Société. Je ne crois pas à sa structure telle qu’elle existe actuellement. Même si cela risque de demander beaucoup de travail, nous pouvons réussir à modifier la structure de la Société. Nous n’avons pas besoin d’être une société à but non lucratif enregistrée, car le statut d’organisme de bienfaisance entraîne un ensemble de règlements et de restrictions que nous devons respecter. Nous devons certes produire des états financiers et tenir une assemblée générale annuelle où nous élisons un trésorier, un secrétaire et un président. Mais dans le cadre d’une société, nous avons la liberté de créer nous-mêmes des façons de travailler. Nous pourrions toujours être reconnus comme étant un organisme à but non lucratif, comme l’est notre école Waldorf ici en Nouvelle-Écosse, établi selon la Loi sur les Sociétés. Alors, j’ai dit clairement aux membres du conseil qu’ils me demandaient de faire quelque chose auquel je ne croyais pas. Je ne pouvais pas participer à un vote pour choisir le nouveau président. Il y a eu ensuite un débat pour déterminer si j’avais le droit de m’abstenir. On a décidé que oui, et je me suis donc abstenu. Quatre personnes m’ont nommé comme étant leur premier choix pour le poste de président! Je me trouvais devant une situation délicate, car on me demandait donc de faire quelque chose que je n’approuvais pas.
J’ai réfléchi à la situation pendant deux mois avant d’accepter. Jef Saunders m’a suggéré d’assumer le poste et de travailler ensuite à apporter un nouveau modèle de gestion. Alors, j’ai accepté d’assumer le poste de manière intérimaire pourvu que le conseil accepte de bon gré de travailler ensemble pour trouver un nouveau modèle de structure pour la Société. Et c’est là que nous en sommes à l’heure actuelle. Un exemple : nous proposerons une motion pour faire en sorte que tout membre du conseil puisse signer la carte d’un nouveau membre. Jusqu’ici, cette tâche était réservée au président, et je l’ai assumée. Mais je trouvais que ce serait beaucoup plus agréable de permettre aux autres membres du conseil, s’ils le désirent, de pouvoir accueillir un nouveau membre au sein de la Société et de signer la carte de membre.
Je m’inquiétais un peu quand même que les autres membres du conseil cherchent un leader, quelqu’un qui dirigerait et qui déterminerait l’orientation à suivre. Et en effet, c’est lors du déroulement des assemblées générales annuelles que j’ai compris que si je ne prenais pas certaines décisions en tant que président, une situation un peu chaotique et désordonnée se produisait. Je pense donc que de telles situations demandent une direction décisive. Mais cette tâche ne doit pas être nécessairement celle d’un président. On pourrait le concevoir autrement.
Rob :
J’ai donc l’impression que votre compréhension du rôle du président dans un contexte anthroposophique est en train d’évoluer.
Micah :
En effet, il s’agit vraiment d’un geste qui va vers l’avenir. Qu’est-ce qu’on nous demande, et comment faire pour pouvoir écarter ce qui a été formé par le passé? Je ne pense pas que cela puisse se faire d’un coup, radicalement. Beaucoup de gens se sont habitués à la manière actuelle de travailler. Il faut procéder avec tact et délicatesse, mais quand même d’une manière à faire avancer la Société. Si nous voulons vraiment accueillir des jeunes au sein de notre Société, il faut se rendre compte que ce vieux modèle est dissuasif – en effet, il faut que nous nous rendions compte que l’idée d’une Société avec un président est une notion qui fait peur.
Rob :
Qu’en est-il de ce système assez inusité qui inclut à la fois un président et un Secrétaire général? La plupart des organisations ne fonctionnent pas avec deux rôles de leadership. La plupart fusionneraient les rôles de président du conseil d’administration et celui de PDG pour simplifier la structure décisionnelle. Comment est-ce que vous concevez la situation? Et quelle est votre expérience de tenir le rôle de président et de travailler en même temps avec le Secrétaire général?
Micah :
C’est en effet quelque chose d’unique dans ce sens que nous avons notre Société nationale, et que nous faisons partie également de la Société universelle, mondiale. Donc, Bert Chase est en réalité le représentant de la Société au Canada au sein de la Société universelle, et il nous rapporte son expérience de la Société universelle. Et c’est une excellente chose. Le titre de Secrétaire général est un excellent titre de fonction, imbu de chaleur. Il ne transmet aucune notion de hiérarchie ou de fonction autre que celle de communicateur, quelqu’un qui fait le pont entre les deux niveaux de la Société dans le monde. Et c’est précisément ce que nous voyons lorsque nous visitons des membres dans les régions. Leur rapport à la Société universelle n’est pas toujours clair. Les membres ne comprennent pas que le travail qu’ils accomplissent dans le monde est rendu possible grâce à l’existence d’une Société mondiale, possible en fait parce que des êtres humains partout dans le monde œuvrent dans le même sens. C’est comme si la géographie perdait son influence sur l’activité humaine lorsqu’on parle de travail spirituel, d’effets spirituels. C’est une chose qui transcende les distances. Lorsqu’on travaille en fonction de la réalité spirituelle, nous pouvons accueillir l’influence du travail spirituel des autres. Le travail du Secrétaire général est bénéfique, et son rôle important. Et nous devrons chercher le mot juste pour qualifier ce titre que nous qualifions actuellement de « président ».
Rob :
Les Secrétaires généraux successifs n’ont pas tous interprété ce rôle de la même manière. Pendant son mandat, Arie van Ameringen a probablement été celui qui a entrepris beaucoup de choses. Par exemple, il a lancé l’initiative de l’important congrès d’Ottawa. Dans son rôle comme présidente, Dorothy LeBaron a certainement appuyé cette initiative à bien des niveaux. Et elle a aussi accompli beaucoup d’excellent travail par rapport à notre site internet et bien d’autres choses. Mais elle n’a pas mis en œuvre de grands événements de la même manière. Et je ne suis pas sûr qu’il soit nécessaire qu’il y ait une seule « manière ». Mais, il est certainement intéressant d’explorer les différentes manières de travailler chez différents individus.
Micah :
Eh bien, Arie possède une grande force d’enthousiasme, peu importe le rôle qu’on lui attribue. Tout ce dans quoi il s’implique devient pénétré de son enthousiasme. Le fait qu’il était Secrétaire général à l’époque a beaucoup aidé dans l’organisation du congrès d’Ottawa, qui a été une source d’inspiration pour la Société dans le monde entier. Les gens venus d’Europe et des États-Unis y ont vécu une version de l’anthroposophie qui a été un réel éveil. Ils ont trouvé l’expérience incroyable. Selon Paul Mackay, il y avait « de l’anthroposophie dans l’air ». J’interprète ses mots comme voulant dire que l’événement était une représentation vivante de l’anthroposophie. Ce travail n’était pas de la théorie, planant en l’air. Il avait les pieds bien plantés sur terre, ici. On pouvait le percevoir. C’était indéniable. Paul percevait qu’il régnait une forte énergie michaélique dans le congrès.
Rob :
Est-ce possible que nous organisions un autre événement comme celui-là?
Micah :
Mais bien sûr. Il faut que tous les astres s’alignent. Je me souviens avoir dit à Ottawa que le prochain congrès devrait se tenir à Halifax. Cela m’a amené à développer l’idée d’un congrès des anciens élèves des écoles Waldorf. Mais cela ne s’est pas réalisé du fait que je n’avais pas l’équipe qu’Arie a pu réunir. Mon « équipe » était en réalité un monstre à deux têtes. En fin de compte, il y avait deux conceptions, deux initiatives distinctes essayant de créer un seul et unique événement. Il y avait de l’hésitation à se fondre, à devenir un seul corps et une seule idée. En plus, ce n’est pas chose facile de rejoindre et d’enthousiasmer les anciens élèves, qui sont en plein dans le monde, en train de vivre leurs vies très occupées. Il s’est avéré être une tâche difficile de les convaincre de participer à un congrès. Mais j’ai l’espoir de pouvoir réussir à créer d’autres événements. J’exprime à haute voix mon idée que nous avons besoin de davantage d’événements et de gestion des activités.
Rob :
Quel genre d’activités possibles envisagez-vous?
Micah :
On ne peut pas arriver à concevoir des activités avec des abstractions. Nous sommes très conscients du fait qu’on peut amplifier une idée si elle suscite de l’enthousiasme chez assez de gens. Il faut qu’elle résonne chez un plus grand nombre d’individus pour qu’on puisse dire : « Oui, on va de l’avant! » Le prochain projet d’importance qui ne cesse de réapparaître sur l’horizon pour dire : oui, il faut que cela soit fait, est celui d’un centre de formation de professeurs Waldorf en Nouvelle-Écosse. Au cours de l’année, il y a une dizaine de personnes qui ont signifié leur désir de suivre une formation, et si nous avions un tel programme de formation ici, elles s’inscriraient volontiers. Elles n’ont pas les moyens financiers de suivre une formation à Toronto, et donc, elles n’y vont pas.
Une autre chose que nous explorons est la question de logement communautaire. Les gens pourraient y investir, et le projet fournirait du logement pour le personnel enseignant, pour des aînés, ainsi que des revenus de location pour l’école. Cela pourrait aussi servir à financer les salles de travaux pratiques, par exemple. Nous avons besoin de locaux adéquats pour les ateliers de bois et de métal. Les enfants nous le réclament.
Rob :
Avez-vous eu la chance de visiter le Goethéanum?
Micah :
Oui, j’ai assisté à plusieurs congrès pour les jeunes. Et j’ai pu assister à l’AGA de 2016, là où l’on a voté sur la question du renouvellement du mandat de sept ans de Paul McKay et de Bodo von Plato. J’ai vécu la tension précédant le vote lorsqu’on a eu un débat sur les résultats de leurs années de service au sein du Comité directeur. En effet, il s’agissait des deux membres les plus anciens, ayant chacun siégé au Comité depuis 20 ans. Au moment du vote, une foule de membres locaux qui n’avaient pas assisté aux autres aspects de l’AGA a inondé la grande salle uniquement au moment du vote.
Rob :
C’est très intéressant. Qu’avez-vous pensé de tout ça?
Micah :
Je crois fermement que les gens élisent toujours la bonne personne. En ce qui concerne les scrutins, chaque décision est la bonne décision pour le moment où l’élection a lieu. Mais, bien sûr, nous sommes obligés de vivre avec la personne que nous avons élue. Tout dépend de l’individu en question. Si la personne que nous élisons est un grand individu, une grande âme, nous savons que les choses s’amélioreront. Si, par contre, l’individu gagne grâce au pouvoir de ses relations, et n’est pas une très bonne personne, je suis d’avis qu’il a quand même mérité d’être élu, mais que nous en serons un peu défavorisés. Je suis donc d’accord avec la décision prise lors de l’AGA. Je pense que les membres ont fait le bon choix. Et chaque jour qui passe semble confirmer ce fait. De nouvelles possibilités ont été créées, car elles ne sont pas imposées sur les membres, et que les individus en question avaient acquis beaucoup d’influence. Par exemple, même la disposition des places assises dans l’auditorium était un reflet de leur influence. Leurs plus grands supporteurs étaient assis dans les dix premières rangées. On ne savait même pas qui étaient ces personnes. Et c’était une bonne chose, car à partir des dernières rangées, situées plus haut dans la salle, on pouvait observer la situation avec objectivité, et on pouvait ainsi réfléchir, se demander ce qu’on pensait de chacun des arguments énoncés. Et puis, bien sûr, il y a eu des halètements de surprise lorsqu’on a annoncé les résultats; en effet, des bruits d’étonnement ont été entendus venant de toutes les rangées du devant de la salle. Ces gens-là ne pouvaient tout simplement pas croire de Paul et Bodo n’avaient pas été reconfirmés. Et cela indiquait pour moi que la situation était malsaine, car même si nous avons un lien avec certains individus, nous avons aussi la responsabilité de comprendre ce que les autres pensent des individus que nous aimons. Je pense donc que la décision était juste.
Rob :
Ce qui a résulté de cette décision s’est avéré très intéressant par rapport à la manière dont la Direction au Goethéanum essaie de transformer son mode de fonctionnement. Quelles sont vos pensées à ce sujet?
Micah :
On a pensé comprendre alors que nous vivons un moment de grande transition et que ce qu’on avait vécu était un appel à trouver une nouvelle forme de direction, et de pouvoir répondre en même temps aux nouveaux besoins du monde et de la Société. La Direction va de l’avant, mais avec précaution. Elle n’élira pas de nouveau membre du Comité directeur avant d’avoir résolu ces autres défis. Ils consacrent la plupart de leurs efforts à intégrer de plus en plus les Secrétaires généraux des différents pays, pour que ces Secrétaires généraux assument davantage de responsabilités. Je ne sais pas comment cela va fonctionner en pratique. En théorie, ce serait une bonne chose. Les Secrétaires généraux sentent qu’ils ont de l’importance, et ils sont importants en effet. Mais cela invite aussi de la contestation. La question est toujours de savoir si les individus qui assument le rôle de Secrétaire général sont animés d’un sens de service, et non pas autre chose. C’est en réalité un rôle qui doit être assumé par une âme diplomate, une âme qui ne s’attache pas particulièrement aux choses, mais qui peut porter beaucoup de choses, des questions et des responsabilités et prendre les bonnes décisions. Je n’ai pas vécu cela lors de l’AGA en question. J’ai vu des individus très forts parmi les secrétaires généraux, ce qui n’est pas mal en soi. Mais cela entraîne une manière différente de travailler. Je ne sais pas ce que cela va donner.
Rob :
L’époque semble être très intéressante en effet. On explore différentes façons de travailler à Dornach, et vous en faites de même ici avec le conseil. Un moment de grande créativité. Nous ne sommes plus en train de suivre aveuglément les structures établies de gestion. Il y a des individus qui luttent pour rester éveillés et vivants, comme vous, et qui s’efforcent de découvrir comment faire les choses d’une manière qui convienne à notre époque.
Micah :
Oui, nous vivons une époque d’éveil. Et ils sont à l’écoute. Même si on ne recevait pas de réponse à un courriel envoyé à un membre du Comité directeur pour suggérer quelque chose de nouveau, tout en reconnaissant la qualité du travail effectué par les membres du Comité, je pense, d’après mon expérience, que chaque communication aide un peu à élargir leur perspective.
Rob :
Donc, vous avez l’impression qu’ils sont à l’écoute?
Micah :
Oui, ils sont vraiment à l’écoute.
Rob :
Qu’est-ce que vous espérez voir se développer dans notre Société au Canada?
Micah :
J’espère voir un certain renouveau au cours des prochaines années. Je me préoccupe un peu, car quand on voit qui assiste à nos événements, on voit que les membres vieillissent. C’est-à-dire que je ne m’inquiète pas dans ce sens que nous devons accepter la réalité. Mais je m’interroge pour savoir où cela va mener. Les individus qui sont là ont rendu possible que moi et d’autres puissions travailler ailleurs dans le monde. La question qui se pose est la suivante : pouvons-nous inspirer la prochaine génération?
Rob :
Quand on parle de la prochaine génération, on ne parle sûrement pas uniquement des adolescents et des individus dans la vingtaine, mais aussi de ceux dans la trentaine et la quarantaine. Je parie que l’âge moyen des membres de la Société au Canada est au-dessus de soixante-cinq ans.
Micah :
C’est certain. Mais si on regarde la situation en Europe, on voit énormément de participation. Les congrès pour les jeunes accueillent entre 500 et 800 participants. Ce ne sont pas des anthroposophes. Ce sont des étudiants qui veulent assister à ces congrès pour y contribuer et en tirer quelque chose, mais ils ne vont pas devenir membres de la Société, et c’est bien comme ça. On ne voudrait pas voir un adolescent devenir membre de la Société. Mais on peut certainement espérer qu’un individu de trente ou quarante ans qui ressent vivre l’anthroposophie en son for intérieur ressentirait le fait de devenir membre comme un enrichissement. Il faut que le geste de devenir membre profite aussi à l’individu, pas de manière égoïste, mais d’une manière spirituelle qui le soutient.
Rob :
Lorsque j’ai abordé le sujet de devenir membre avec des individus qui fréquentent les activités de la branche de Toronto, par exemple, je constate qu’ils prennent la chose très au sérieux et ne décident de devenir membres qu’après avoir créé un lien profond avec l’anthroposophie. D’après ce que j’ai pu comprendre par mes lectures, il me semble qu’à l’époque de Rudolf Steiner, il était beaucoup plus facile de devenir membre de la Société. La décision beaucoup plus sérieuse était celle de devenir membre de la Première Classe. Il fallait être membre depuis deux ans et les gens réfléchissaient longuement pour savoir s’ils voulaient vraiment être un représentant de l’anthroposophie devant le monde. D’une certaine manière, les choses semblent avoir changé. Je ne peux pas me l’expliquer, mais c’est ma perception.
Micah :
Je pense qu’une des explications a trait au fait qu’à l’époque de Rudolf Steiner, il n’y avait en réalité pas d’anthroposophes, et que ce fait a éventuellement contribué à le rendre malade. En fait, il n’y avait que lui-même qui portait l’anthroposophie. Il n’y avait personne qui pouvait la porter comme nous le faisons aujourd’hui, un siècle plus tard. Par conséquent, c’était quelque chose de beaucoup plus significatif pour un individu de devenir membre de la Société. Aujourd’hui, l’anthroposophie semble être plus liée à nos vies, et semble donc moins lourde à porter. Les gens se demandent pourquoi ils auraient besoin de devenir membre. Cela ne semble pas m’interpeller; pourquoi devrais-je perdre mon temps à m’occuper de la Société? Pourquoi verser une contribution? Et il y a du vrai dans tout cela, vous savez. Est-ce que la Société répond à leurs besoins? Il est évident que cette attitude comporte un aspect égoïste : « comment cela me profite-t-il? », ce qui n’est en réalité pas la bonne question, mais c’est quand même la question que posent beaucoup de gens. Et nous l’entendons. Donc, je peux me relier à ce que vous venez de dire. Il y a une question profondément sérieuse : « Comment est-ce que je peux contribuer à la vie de l’anthroposophie dans le monde en devenant membre de la Société? » Et il y a aussi la question de ce que veut dire devenir membre d’une société et d’en devenir un représentant. Cela est étroitement relié à la raison pour laquelle on décide de devenir membre de la Première Classe, et est pourtant plus libre et n’implique pas pour ainsi dire une école avec des mantras et un certain protocole.
Rob :
Donc, vous avez l’impression que pour que la Société puisse avancer, elle doit trouver le moyen d’établir des liens avec des gens qui ont entre 20 et 40 ans et les encourager à assumer des rôles actifs dans la Société.
Micah :
Oui, je sais que ces jeunes adultes sont ouverts. Si cela leur parle de la bonne manière, ils ne demanderont même pas pourquoi. Il existe en eux une ouverture latente. Mais on ne la reconnaît pas, et on ne l’aborde pas. On peut citer en exemple ce qui se passe en Europe, où la Société organise des congrès pour offrir aux jeunes des expériences dans un contexte anthroposophique. Elle se rend compte, avec sagesse, je crois, que ces congrès portent quelque chose qui affectera l’âme de ces jeunes individus. Et le jeune reconnaît à son tour que cette expérience lui parle, qu’elle va lui permettre de s’amuser et de s’enrichir en même temps. Et c’est suffisant. C’est une très belle chose que fait la Société. Elle crée des liens avec les âmes des participants. Elle n’évoque pas une carte de membre, mais crée plutôt cette merveilleuse activité à travers laquelle coule l’anthroposophie.
Rob :
Et cela semblerait logique qu’un individu ayant participé à plusieurs congrès de la sorte décide éventuellement de devenir membre de la Société et de s’impliquer davantage dans le travail anthroposophique.
Micah :
Oui, cette possibilité existe toujours. Je reconnais ce que les adultes qui m’entouraient pendant ma jeunesse m’ont donné pour que je vive ce qui maintenant a tellement de valeur et tellement de signification pour moi. Et puis, en tant qu’adulte, on se dit : « OK, maintenant c’est moi qui suis à la place de l’adulte. Je dois redonner, offrir aux jeunes la même qualité d’expérience qu’on m’a donnée. » Et je pense que c’est cela vieillir – reconnaître comment nous contribuons à aider les autres à vivres de semblables expériences, mais d’une manière encore plus libre et plus ouverte – car si nous voulons que l’anthroposophie vive en nous en tant qu’individus nous devrons être aussi libres que possible.
Rob :
Une très belle pensée. Geraldine, est-ce que tu voulais ajouter quelque chose? Tu es en train de faire les démarches pour devenir membre.
Geraldine :
Mon introduction à l’anthroposophie au cours de l’année d’introduction offerte au Rudolf Steiner Centre de Toronto m’a profondément, profondément touchée. Et cela, je le dois à l’enseignement de Paul Hodgkins. Il avait le tour de présenter l’essentiel de la pensée de Rudolf Steiner avec une grande clarté, la rendant facile à comprendre. C’est comme s’il allumait une flamme en nous. J’avais l’Évangile selon Jean dans ma bibliothèque depuis des années, et voilà que tout d’un coup, je me suis mise à le lire. Et, je ne sais pas trop pourquoi, les choses ont commencé à s’accélérer à partir de ce moment. Enfant, j’avais l’habitude de traîner une bible partout. J’adorais toucher les pages, les sentir sous mes doigts; cela veut-il dire quelque chose? Une de mes amies avait suivi l’année d’introduction douze années avant, et elle me l’a recommandée. Même si j’ai procrastiné, me trouvant toutes sortes d’excuses, j’ai fini par le faire, et quelle joie!
Rob :
Quand je t’entends parler, Geraldine, j’entends quelque chose que je remarque dans la voix de beaucoup de gens. Nous avons l’expérience de lire de l’anthroposophie et d’accomplir des choses. Mais, il y a quelque chose dans l’essence de l’anthroposophie qui semble se transmettre d’une personne à une autre. Quelque chose chez l’autre nous touche, peut-être même si nous ne comprenons pas ce que notre interlocuteur a dit; on dirait que ce contact éveille quelque chose en nous comme si c’était quelque chose que nous reconnaissions.
Geraldine :
Eh bien, tu sais comment c’est : l’élève est prêt quand il est prêt, et pas avant.
Micah : Paul est tellement une belle âme. Il apporte une qualité enjouée tout en exprimant ses idées.
Geraldine :
Oui, c’est ça. Et je me souviens qu’il me disait lors des pauses café : « Tu es curieuse, comme moi! »
Micah :
Moi aussi, je suis d’un naturel curieux. En parlant avec ma mère l’autre jour, je lui racontais comment ces enfants posaient tellement de questions. Et elle m’a répondu que moi aussi, je n’arrêtais pas de poser des questions.
Geraldine :
Oui, c’est comme je viens de le dire – quand l’élève est prêt…
Micah :
En effet, c’est là une petite observation sur la communication du cœur par rapport à celle de la tête, car la curiosité vient du cœur. Lorsque nous posons des questions, nous parlons le langage du cœur. La tête se soucie davantage de trouver la réponse; si on veut trouver une réponse, nous allons chercher dans Google. Et la question est close, l’expérience du cœur éliminée. La curiosité est un des signes qui indique que nous cherchons quelque chose de plus profond, de spirituel. Trouvez-vous qu’avec leurs questions ils suscitent plus de curiosité qui, elle, à son tour, suscite encore d’autres questions, et que les questions deviennent de plus en plus grandes?
Geraldine :
Oui, c’est exactement ce qu’ils font. On a l’impression qu’on ne fait que gratter la surface. Vous comprenez ce que je veux dire?
Micah :
Une image me vient en tête : il y a un monde à l’intérieur de nous-mêmes dont nous ne sommes pas vraiment conscients, mais quelque chose du monde extérieur vient nous éveiller à ce qui existe déjà à l’intérieur de nous-mêmes. Nous ne nous en étions pas encore rendu compte, tout simplement – mais c’est notre curiosité qui nous le fait découvrir.
Geraldine :
Le Christ est tellement aimant, mais il est sévère aussi.
Micah :
Dans quel sens?
Geraldine :
Lorsqu’il nous enseigne le véritable sens de l’amour.
Micah :
Pouvez-vous me donner un exemple de ce que vous voulez dire?
Geraldine : Dans ma vie personnelle, je me suis trouvée atteinte d’une maladie qui mettait ma vie en danger. Cela a été une terrible épreuve. Je savais que je n’allais pas mourir, mais je savais avec une grande lucidité en même temps qu’il s’agissait d’une épreuve que la vie me faisait subir. Et qu’il fallait que la supporte avec la plus grande mesure de dignité possible. Je me trouvais toute seule. J’ai l’impression que ce qui se passe à l’heure actuelle est semblable, mais pour tout le monde, qu’on en soit conscient ou non. On peut décider de dire oui en voulant progresser, ou rester tout simplement en place. Et voilà notre lutte actuelle, celle qui correspond à notre époque. La Deuxième Guerre mondiale était celle de nos parents. Celle-ci est la nôtre.
Micah : La question essentielle selon moi est la suivante : dans la situation actuelle du Covid, nous savons qu’elle est l’action de ces forces terrestres matérialistes qui créent le discours qui dicte comment les gens doivent comprendre l’état actuel des choses. Alors, comment pouvons-nous apporter de la lumière, de la vérité comme vous le dites, sur ce qui dans le fond est en train de créer une bataille à l’intérieur de nous-mêmes? Allons-nous céder à l’aspect illusoire et renoncer par conséquent à notre humanité? Nous allons devoir renoncer à nous rapprocher les uns aux autres, à notre lien avec d’autres êtres humains, perdre certains de nos droits en ce qui concerne la santé et la liberté personnelle. Et derrière tout cela, le spectre d’un vaccin global obligatoire. Et avec cela il y a les outils utilisés pour suivre les individus pour savoir qui respecte ou ne respecte pas la consigne. Et ensuite, la peur qui accompagne celui qui refuse le vaccin. Comment contester ce discours de manière respectueuse et avec bonté de cœur? Comment apporter de l’amour dans le monde tout en trouvant le moyen de résister plutôt que de céder?
Geraldine : la peur n’a pas sa place en ce moment.
Rob : Micah, je vous suis très reconnaissant de nous avoir accordé un peu de votre temps. Je vous souhaite beaucoup de succès dans votre rôle de membre du conseil et de président, et je ressens combien vous y mettez du cœur. Et s’il y a quoi que ce soit que je peux faire pour vous aider, je vous prie de me le faire savoir. Je suis très heureux que vous soyez avec nous.
Micah : Merci. J’apprécie beaucoup vos belles paroles. Vous avez posé d’excellentes questions; cela m’a stimulé.
Merci encore.
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