04 Août La terreur du Doute noir et la Philosophie de la Liberté de Timothy Nadelle
Par moments, dans un certain état d’âme, nous pouvons nous rendre compte de l’abîme qui nous sépare de tout ce qui nous confronte dans la vie. Ce gouffre semble présenter un obstacle insurmontable, nous refusant toute possibilité de connaître réellement quoi que ce soit. Qu’est-ce qu’une personne peut vraiment savoir avec certitude (de première main, sans tenir compte de toute la littérature anthroposophique!) de l’être d’un arbre, de la faculté de la mémoire, du vécu intérieur d’un ami, même de l’ami le plus proche? Cet abîme peut jeter le voile du doute sur tout ce que l’on pense savoir et provoquer un sentiment d’être complètement étranger au monde qui nous entoure. Même lorsque les obligations de la vie ou les interruptions quotidiennes sollicitent notre attention et que notre conscience de ce gouffre s’estompe, un sentiment persiste, celui de ne pas être capable de répondre aux questions les plus fondamentales que l’existence nous pose.
Ou c’est peut-être un événement surprenant qui nous secoue de telle manière que nous sortons de notre état de conscience habituel, comme c’est le cas pour Strader, homme de science et ingénieur qui, dans la première scène du premier Drame-Mystère, est témoin d’un état de transe de la voyante et qu’il entend les mots visionnaires qu’elle prononce. Son ami Capésius lui dit : « Je crains, cher ami, si vous perdez ici la certitude, que vos yeux bientôt ne s’embrument d’un sombre doute. » Et Strader d’avouer : « La peur d’un tel doute, elle me torture à certaines heures…. Mais souvent, quand des questions me harcèlent avec force, un spectre monte des profondes ténèbres de mon esprit, un être de cauchemar. Il pèse sur mon âme, il m’enserre affreusement le cœur de ses griffes, et me dit : ‘Si tu ne me vaincs pas avec tes armes émoussées de penseur, tu n’es rien de plus que le mirage éphémère de ta propre illusion.’ » (Traduction : Éditions Triades)
Ce doute dont est victime Strader prépare le terrain pour le drame de connaissance décrit dans la Philosophie de la Liberté. Le dualisme – la séparation entre le soi et le monde – n’est pas uniquement un point de vue philosophique. C’est une expérience fondamentale que vit toute âme humaine qui décide de suivre le chemin de la connaissance. En empruntant la voie de connaissance implicite dans la Philosophie de la Liberté, notre but n’est pas seulement de comprendre comment Rudolf Steiner réfute les arguments des philosophes dualistes; nous voulons plutôt nous rendre conscients du gouffre de la connaissance – qui est une expérience essentielle de chaque être humain de notre époque – et dépasser nos propres limites par notre propre effort.
Lorsque nous cherchons à observer notre penser, nous découvrons un champ d’expérience qui ne ressemble à aucune forme de conscience que nous connaissions dans la vie ordinaire – un champ d’expérience caractérisé par Rudolf Steiner dans le troisième chapitre de la Philosophie de la Liberté comme une sorte « d’état exceptionnel. » Dans cet état exceptionnel, nous découvrons dans la mobilité vivante du penser une activité qui a son origine dans notre propre effort individuel et qui est en même temps quelque chose d’universel et d’objectif. Grâce à cette activité, nous trouvons de nouvelles forces et une nouvelle certitude apte à nous encourager à redémarrer et nous ressourcer, à nous explorer nous-mêmes et à explorer le monde.
D’une part, la chose est fort simple… D’abord, nous observons quelque chose. Ensuite, nous réfléchissons à cette chose. Puis, nous observons le penser que nous avons déployé. Nous pouvons choisir à peu près n’importe quoi comme objet initial d’observation, comme par exemple :
· un objet ou événement physique
· un sentiment
· un verset à méditer
Mais d’autre part, il s’agit d’une épreuve, le germe d’un processus d’engagement créatif et de découverte qui fait appel à ce qu’il y a de plus caché en nous. La première transition, celle qui va de l’observation au penser, demande un effort de volonté. La deuxième transition, celle qui passe de l’activité de penser à quelque chose à l’observation du penser lui-même, demande un degré supérieur de force de volonté. Et pourtant, avec de la bonne volonté chaque individu sain peut accéder à cet état exceptionnel et peut découvrir les forces bénéfiques que cette activité est en mesure de lui procurer.
Voici qu’une femme observe quelque chose. Une question surgit – elle cherche une réponse pour expliquer ce qu’elle a ainsi observé. Deux bouquets de fleurs sont faits de fleurs cueillies sur le même arbuste. Les fleurs d’un des bouquets perdent leurs pétales lorsqu’on les place dans un vase. Pourquoi les fleurs de l’autre bouquet ne perdent-elles pas leurs pétales?
Un homme se rend compte qu’un certain sentiment surgit en lui. Il l’observe; il reconnaît peut-être qu’il est contrarié et cherche l’origine de cette contrariété. Il examine l’événement qui l’aurait causée, et il se demande quel serait le trait de son caractère qui a fait surgir en lui un tel sentiment, alors qu’un autre aurait peut-être ressenti autre chose.
Même un verset qui sert d’objet de méditation doit être mis en mouvement par l’activité du penser. Il se peut, par exemple, que le sens d’une partie du verset ne soit pas clair au début et qu’une question qui surgit à ce propos trouve sa réponse dans une exploration plus approfondie d’autres parties du verset.
Généralement, nous n’allons pas plus loin que cela dans l’utilisation de la pensée, et nous sommes heureux si nous croyons avoir découvert une explication ou entrevu un nouvel aspect de la chose. Mais nous pouvons aller plus loin. Nous pouvons nous retourner, pour ainsi dire, et observer le penser que nous venons de déployer.
Et lorsque nous le faisons, du coup quelque chose change. Avant, nous explorions avec notre pensée quelque chose qui nous était extérieur. Les fleurs, le sentiment, et même le verset (au début du processus) étaient tous extérieurs à nous et faisaient partie du monde qui nous est donné d’office. Mais lorsque nous nous mettons maintenant à observer le penser lui-même, nous sommes en train d’explorer une activité que nous connaissons intimement et immédiatement, une activité gérée par nos propres forces. La séparation, l’abîme entre le soi et le monde s’évanouit. Nous faisons l’expérience de la réalité puissante, objective et active du penser.
Notre penser devient plus actif, imprégné de vie. Et là, nous nous trouvons devant un choix : quoi faire maintenant? Une possibilité, ce serait d’approfondir, avec notre penser vivifié, la question que nous avions posée au début. Cela implique que nous nous détournions de l’observation du penser lui-même pour réparer, améliorer ou augmenter l’activité pensante que nous avions déployée à l’origine. Nous découvrons alors autre chose – de nouveaux aspects, plus riches et plus complets que ceux que nous avions entrevus au début. Ces nouveaux aperçus arrivent avec la vitesse de l’éclair; ce sont des bonds de créativité qui sont accompagnés par la joie que nous ressentons à pénétrer véritablement les profondeurs d’une question.
L’autre possibilité, ce serait de continuer à travailler à l’intérieur de l’état exceptionnel. Mais ici, rien n’est statique. Pour aller de l’avant, il faut déployer un plus grand effort de volonté. La distance temporelle entre le penser et l’observation du penser se rétrécit et approche de plus en plus la simultanéité. Lorsque nous avons atteint cette étape, il y a de multiples façons de continuer. En façonnant individuellement notre chemin personnel, nous entrons de manière vivante directement dans l’être créateur du penser.
Dans Les Énigmes de la Philosophie, Steiner écrit : « Une conception du monde doit nécessairement être exprimée par moyen de pensées; mais alors, lorsque le penser fait l’expérience de cette conception là où celle-ci prend naissance dans l’âme, il n’a à sa disposition que les moyens que lui fournit l’ère moderne pour donner à l’âme la force qu’elle cherche. Lorsqu’une pensée est née, quand elle est devenue système philosophique, elle a déjà perdu le pouvoir magique qu’elle exerçait sur l’âme. C’est pour cette raison que l’on sous-estime si souvent la force du penser et celle de la conception philosophique du monde. C’est ce que font tous ceux qui ne connaissent que la pensée qui leur est suggérée du dehors, une pensée qu’ils sont censés croire, à laquelle on leur demande de prêter serment. La vraie force du penser n’est connue que de celui qui en fait l’expérience là où elle naît et se forme. »
Nous vous invitons à vous joindre aux collègues et amis qui se réuniront à Thornhill, Ontario, du 23 au 25 octobre 2015 pour un congrès consacré à l’exploration et l’expérience du chemin de connaissance implicite dans la Philosophie de la Liberté. Entrelacé aux fils du congrès, les productions TQuest de Toronto présenteront le premier tiers du Drame-Mystère La Porte de l’Initiation. Avec nous sur ce voyage, Daniel Hafner, prêtre de la Communauté des Chrétiens, ouvrira et clôturera le congrès en donnant deux conférences dont le but sera d’éveiller un dialogue spirituel entre les deux initiatives. Visiter notre site pour en savoir plus : www.philosophyfreedom.ca
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