26 Mar MOT DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL De la société anthroposophique universelle – Partageons nos voix
Chers membres et amis de la Société anthroposophique au Canada,
Parmi nos plus grands défis en tant qu’êtres humains de notre époque, c’est le fait qu’il existe dans les profondeurs de notre être le besoin d’avoir raison, le besoin que notre façon de voir soit reconnue et confirmée.
Au cours des derniers siècles, nous avons en effet développé la conscience d’être des individus à part entière et avons acquis des facultés pour lesquelles nous devons être reconnaissants. Le développement de notre capacité de déployer une pensée libre et indépendante nous fournit les fondements nécessaires pour rencontrer le monde en tant qu’individus libres. Mais ces facultés en évolution nous créent des obstacles lorsqu’elles descendent dans notre constitution physique et deviennent mêlées à notre sens de soi, qui lui aussi dépend de notre expérience corporelle. Et lorsque ces capacités remarquables s’intègrent au corps, nous avons de plus en plus de difficulté à séparer notre sentiment de soi de nos idées. Cela peut nous amener à nous sentir menacés lorsqu’on conteste nos idées, ou lorsque nous sommes confrontés par des idées d’autrui qui ne s’accordent pas avec les nôtres. Ce lien étroit des pensées avec notre constitution corporelle est tellement commun que nous arrivons à l’accepter comme étant quelque chose d’inné.
Et contre cette toile de fond, nous sommes toujours étonnés par la capacité de Rudolf Steiner de libérer notre pensée de son besoin de s’accrocher à des points de vue fixes. Nous pouvons nous sentir mal à l’aise lorsque nous nous rendons compte qu’il nous présente un seul et même sujet à partir de points de vue très différents. Ceci, nous pouvons même le ressentir comme un « mal-aise » physique. Si nous regardons ce phénomène avec acuité, nous nous rendons compte que nous nous sommes fait des idées sur ce qui est « vrai » en prenant en considération seulement quelques-unes des indications de Rudolf Steiner et en laissant de côté celles qui nous présentent des difficultés de compréhension. Rudolf Steiner nous invite continuellement, pour que nous puissions penser librement, à briser ce lien qui rattache notre pensée à notre constitution corporelle.
Cette action de « délier ce lien » devient encore plus difficile lorsqu’il est question d’arriver à un accord collectif. En communauté, nous sommes inévitablement confrontés à nos limites en ce qui concerne notre capacité d’entrer dans le processus de pensée de l’autre sans que notre sens de soi s’en trouve affecté. Pour nous sentir bien dans notre corps, nous nous efforçons de faire reconnaître et accepter nos pensées et nos connaissances personnelles.
Le chemin de Rudolf Steiner est autre. Il fait appel aux multiples perspectives personnelles que chacun peut amener, mais qui bornent en même temps les individus qui les amènent. Ce n’est que lorsque l’entière constellation formée de tous les différents points de vue devient perceptible que le groupe a la possibilité de se rapprocher de l’essence de la question qui est en train d’être explorée. Le déroulement du Congrès de Noël en est un exemple magistral. Rudolf Steiner aurait pu diriger l’assemblée de manière à ce que chaque décision soit prise rapidement, mais nous voyons qu’au contraire, chaque décision a fait l’objet d’une longue discussion. Et ce n’est qu’au terme de ces discussions que les décisions ont été prises. Un aspect critique de ce processus relève des mystères : ces explorations ont été encadrées par les paroles de la Médiation de la Pierre de Fondation, et les principes formateurs incorporés dans ces paroles imprègnent et donnent forme à tout le déroulement de l’assemblée.
Ce processus, qui consiste à arriver à des accords communs à l’intérieur de la Société anthroposophique, est demeuré notre intention directrice depuis le Congrès de Noël. Un des aspects clés de ce processus concerne le rôle des individus qui représentent d’autres individus. Rudolf Steiner a parlé précisément de cet aspect par rapport au rôle des Secrétaires généraux qui, nous rappelle-t-il, étaient présents pour prendre la parole au nom de ceux qui ne pouvaient pas être présents. La responsabilité de ceux qui avaient le bonheur de pouvoir être présents était considérée comme étant quelque chose de très sérieux. À chaque étape du processus, ces « représentants » ont été appelés non seulement à exprimer leurs propres idées, mais à partager l’essence de la pensée de ceux qui ne pouvaient pas être présents, même si ces pensées allaient à l’encontre de leurs propres idées.
Cet idéal est une intention future que nous exprimons dès maintenant. Dans ce but, nous cultivons des façons de travailler qui se fondent sur la sagesse personnelle de chaque individu, sagesse qui peut alors être laissée de côté pour que ceux qui sont présents, ayant construit ensemble une image du tout, puissent « voir à travers le voile » pour discerner ce qui doit se réaliser dans le moment. Ce « percevoir collectif » est une démarche communautaire.
À la lumière de ces réflexions, nous pouvons jeter un nouveau regard sur le déroulement de l’AGA de la Société anthroposophique universelle de 2018. Étions-nous alors en mesure de nous écouter vraiment les uns les autres pour ensuite laisser de côté notre point de vue personnel de « la vérité »? Y avait-il d’autres forces agissant alors pour perturber cet espace sacré du « parler et entendre »? Cette tension est profondément dérangeante; elle a eu des répercussions sur les membres partout dans le monde, et a fait qu’ils avaient l’impression que leurs voix n’avaient pas été entendues. Ce malaise entraîne des sentiments et des réactions complexes. Le sentiment d’être sans voix éveille un besoin profond d’être entendu et une volonté de pouvoir agir. La démarche officielle traditionnelle qui permet que cela se réalise est le vote par procuration; ce processus est devenu un moyen d’appuyer et de voter pour un résultat prédéterminé, mais sans aucun lien avec ce qui se vit pendant l’assemblée elle-même. Or, cette démarche peut empêcher le processus de partage et d’écoute que Rudolf Steiner nous a demandé de cultiver, processus qui pourrait redonner au vote par procuration, le procurare,son vrai sens : « s’occuper des préoccupations de l’autre ».
En tant que Canadiens, nous faisons face à des défis du même genre, des défis que nous essayons continuellement de relever. Dans le contexte de notre pays-continent, nous cherchons des façons de travailler qui puissent inclure tous nos membres dans la conversation. Nous engager à respecter l’existence de nos deux langues officielles, créer un conseil formé de représentants des différentes régions du pays qui tient ses réunions dans différents coins du pays, s’assurer que les AGA se tiennent alternativement dans différentes régions – ce sont tous des efforts faits dans le sens de ce principe du « parler et entendre ». Et malgré tous ces efforts, ceux qui n’ont pas la possibilité d’être présents ont l’impression de ne pas être entendus, d’être sans moyens. Or, dans l’esprit de vouloir entendre réellement vos voix tout en respectant l’appel qui nous exhorte à arriver à des accords d’une manière tout à fait nouvelle, nous faisons un effort pour créer un espace vous permettant de partager votre opinion et de contribuer ainsi à notre effort commun.
Au cœur de cette impulsion se trouve un appel : que nous cultivions le dialogue les uns avec les autres. Établissons des dialogues, partout au pays, sur les questions que nous considérerons lors de notre assemblée générale annuelle – des conversations entre ceux qui auront le privilège d’être présents et ceux qui ne pourront pas y assister. Nous entretenons l’espoir qu’en cultivant de telles conversations, et en nous rappelant en même temps que le fait d’être présent représente à la fois un privilège et une responsabilité, nous pourrons faire un pas en avant dans notre effort d’apporter à notre assemblée les voix de tous nos membres, de toutes les régions – l’espoir que votre voix puisse contribuer à créer la constellation des différents points de vue « à travers laquelle » ceux qui seront présents pourront percevoir quelles seront les décisions à prendre pour le bien de tous.
Salutations chaleureuses,
Bert Chase
Secrétaire général pour le Canada
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