24 Nov MOT DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL – De la société dans le monde Soutenir notre organisme culturel
Nous sommes un organisme culturel.
On peut s’étonner lorsqu’on envisage le défi que Rudolf Steiner nous a lancé à l’occasion du Congrès de Noël. En effet, c’est là qu’il a créé une imagination visant à porter et à soutenir la vie de l’anthroposophie d’une manière qui n’avait pas été possible jusque-là. Ce qu’il a proposé à cette occasion ne ressemblait pas aux formes organisationnelles ou institutionnelles connues. Au contraire, il a façonné un contenant qui se voulait un organisme vivant, grandissant, en pleine évolution.
Dès le début, ce nouveau modèle « d’être » a présenté pour les membres des défis de taille, étant étranger à ce qu’ils connaissaient. En effet, ils s’attendaient à retrouver quelque chose qui se conformait aux structures prévisibles, à des modèles connus. Et ce défi perdure aujourd’hui, car partout où l’anthroposophie cherche à se rendre visible, le monde exige l’établissement de modes de travail connus pour que l’anthroposophie soit considérée comme légitime. Notre plus grand défi vient du fait que les formes organisationnelles traditionnelles présentent un obstacle pour notre tâche première, celle de nourrir un organisme vivant remarquablement élaboré.
En observant l’arrivée progressive de l’hiver, nous pouvons être frappés par la complexité des interrelations organiques du monde qui nous entoure. L’univers des plantes et des animaux répond avec une sensibilité infaillible à la lumière décroissante et à la chaleur qui diminue d’intensité. Les forêts se dépouillent de leurs feuilles et les bêtes se réfugient dans leurs abris. Tous les éléments de la nature réagissent ensemble comme un seul organisme. Arbres, animaux, oiseaux, insectes – tous prennent infailliblement leur place dans cet ensemble quasi inconcevable d’interactions que nous nommons « Nature ». Et chaque élément représente une cellule vitale dans l’incommensurable ensemble vivant de l’être Natura. Aucune conception, aucune formulation abstraite ne déterminent leur constance immuable dans l’accomplissement de leurs tâches spécifiques au sein de l’ensemble. Rudolf Steiner demande que nous soyons conscients d’une réalité analogue. Il nous enjoint de nous lier à l’être de l’anthroposophie de manière à nous rendre compte qu’au fond, nous aspirons à nous lier à des processus vitaux qui soutiennent et qui renforcent la possibilité que l’anthroposophie soit de plus en plus présente dans le monde.
Ceci va à l’encontre des structures institutionnelles qui nous sont connues. En effet, ce que nous avons appris à connaître est difficile à transformer. Les habitudes que nous avons acquises dans notre façon de cultiver nos relations humaines se sont cristallisées pour devenir des institutions qui contraignent et entravent la vie. Nous sommes mal à l’aise lorsque nous sommes incapables de réparer les choses ou de prévoir comment les processus de la vie vont se manifester. Rudolf Steiner nous demande d’être attentifs aux situations où nous voyons que nous nous plaçons au service des formes institutionnelles plutôt que de nous mettre au service de la vie.
C’est en effet un énorme défi pour nous de voir que partout là où nous travaillons à partir de l’anthroposophie, nos efforts font partie d’une réalité cosmique universelle. Nous avons tendance à vouloir voir l’arbre plutôt que la forêt, ou l’ours qui se gave de baies plutôt que le règne animal entier en train de se préparer à confronter la saison hivernale. Et pourtant, nous sommes confrontés au défi de voir qu’une école Waldorf en Ontario est indissociable de celles qu’on trouve en Afrique du Sud ou au Brésil; ou de comprendre que le bien-être d’un agriculteur biodynamique en Inde a un effet sur son homologue en Colombie-Britannique. Et encore plus difficile à concevoir, c’est comment la santé et la vitalité d’un groupe de membres à Halifax nourrit toutes les écoles Waldorf, toutes les initiatives biodynamiques – comme l’oxygène qui circule dans notre sang, comme la lumière et la chaleur qui éveillent la forêt au printemps.
Chaque effort déployé dans ce sens devient un visage de l’anthroposophie. Rudolf Steiner demande qu’à mesure que nous commençons à percevoir l’anthroposophie comme étant une entité vivante, nous devenions des véhicules pour réaliser ses intentions premières – celles qui visent à effectuer une transformation de la culture humaine. On nous demande d’être conscients que nos efforts, nos actes, soutiennent l’anthroposophie dans ses efforts à métamorphoser les relations humaines pour que nous puissions devenir des êtres humains dans le vrai sens du mot. Bien que cette imagination soit puissante, sa réalisation est simple; elle est fondée sur le fait d’aligner notre activité individuelle sur notre vision de cet ensemble, de cette réalité vivante.
Dans certains cas, notre capacité de nous consacrer à cultiver ce nouvel organisme culturel est limitée. D’aucuns consacrent leur vie à l’un ou l’autre aspect de cet être si complexe. Nous pouvons nous engager à la pratique de la médecine anthroposophique, de la pédagogie anthroposophique, de l’art anthroposophique. Chacune de ces disciplines représente une partie du tout.
Mais il existe également un certain nombre d’individus qui ont choisi de consacrer leur vie à soutenir et à nourrir l’ensemble de cet être. Ce groupe assez réduit de personnes qui « cultivent l’ensemble » siège et œuvre, depuis un siècle, au Goethéanum. Ses membres ont accepté de diriger leurs efforts non plus vers leurs aspirations personnelles, mais de s’engager plutôt à agir pour le bien commun de tous ceux qui portent des impulsions individuelles dans les différentes régions du globe. Ce geste de « cultiver l’ensemble » pèse lourd sur ces individus, leur demandant de mettre de côté ce qu’ils devaient faire à partir de leurs propres initiatives pour réorienter leurs énergies vers l’accomplissement de cette tâche. Et en ce faisant, ils se rendent extrêmement vulnérables. On leur demande de laisser de côté famille et amis pour nous porter tous, créant ainsi un nouveau réseau de parenté dont l’envergure est immense. Et en même temps, ils confient leur bien-être à notre bonne volonté, dépendant totalement de notre soutien dans leur souci de porter l’ensemble, un défi de taille étant donnée la complexité du réseau de ses innombrables éléments constituants.
Nous pénétrons dans un espace complètement autre lorsque nous portons tous ensemble la conscience de cette réalité. L’être de l’anthroposophie ne saurait être soutenu que si nous acceptons de nous faire confiance dans la réalisation de cette tâche immense. Confiance ne veut pas dire acceptation inconditionnelle. La confiance ne peut exister sans discernement, sans une préoccupation et un intérêt pour l’autre.
En réfléchissant à tout cela, nous commençons à comprendre pourquoi Rudolf Steiner voulait que nous forgions un lien immédiat et pratique avec cette réalité dans toute son envergure. Par conséquent, parmi le petit nombre de conditions pour devenir membre on compte l’exigence d’agir de manière à démontrer notre rapport avec cette réalité. Et ceci, nous le faisons lorsque nous offrons notre soutien à ceux qui ont mis de côté leurs aspirations personnelles pour servir toute notre communauté. Ce geste peut paraître fort simple, mais il rend concret un rapport direct nous liant, nous qui nous affairons dans nos différentes initiatives, à ceux qui portent l’ensemble de l’être du mouvement.
Il faut que chacun de nous puisse opérer en soi-même une transformation de notre conscience, de manière à faire naître l’organisme vivant qui rend possible une métamorphose de notre vie culturelle. Reconnaître cette réalité de la manière la plus pratique possible, reconnaître que nous devons soutenir ceux qui veulent « porter l’ensemble », c’est cela qui fait que l’idéal puisse devenir réalité agissante.
Au Canada, en tant que membres de ce grand organisme vivant, nous avons cultivé, peut-être inconsciemment, une délicate compréhension de ces liens d’interdépendance, et en même temps une conscience de notre interdépendance les uns par rapport aux autres. Nous reconnaissons volontiers qu’il y en a parmi nous qui sont dans l’impossibilité de contribuer au soutien financier de ceux qui œuvrent au Goethéanum. Ceci fait que d’autres parmi nous ont soutenu nos collègues en versant des cotisations supplémentaires pour ceux qui n’ont pas les moyens de le faire eux-mêmes. En regardant l’ensemble de la situation, nous sommes émus de constater que presque la moitié de nos membres canadiens reconnaissent la complexité de ces rapports d’interdépendance et versent des contributions supplémentaires, dans certains cas des montants assez importants. Il s’agit là d’un cadeau remarquable. Nous pouvons tous être reconnaissants en constatant cette générosité, qui aide à soutenir à la fois nos groupes qui connaissent des difficultés financières et nos collègues qui ont besoin de notre aide.
À mesure que nous entrons dans une nouvelle année, puissions-nous devenir toujours plus conscients de cette tâche importante que le destin nous attribue. Nous pouvons facilement perdre de vue toute l’envergure de la puissance de l’anthroposophie; sachons pourtant qu’elle est vulnérable et qu’elle dépend entièrement des actes de chacun de nous. Ce ne sont que nos actes qui rendent possible qu’elle continue à être soutenue.
Chaleureusement,
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