26 Avr MOT DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL De la Société dans le monde Une culture d’entente
Chers membres et amis de la Société anthroposophique au Canada,
Les débuts…
Lorsque nous observons le développement du nouveau-né, ce phénomène nous émeut jusque dans les profondeurs de notre être et touche l’essence même de notre humanité. Nous ne pouvons que nous émerveiller devant l’extraordinaire processus qui fait que l’enfant arrive à s’adapter à une réalité fondamentalement différente de celle qu’il a vécue avant de naître. Le processus est long, dépassant de loin les premiers mois d’existence dans l’environnement du monde physique, une maturation s’étendant sur des années. Et pourtant, au cœur de toutes les étapes de croissance se trouve une impulsion qui surgit du noyau spirituel de l’individu en voie d’incarnation et qui a pour but de nouer une véritable relation avec sa nouvelle réalité.
Pour nous faire une idée de la force remarquable de cette impulsion, nous pouvons considérer combien chacune des étapes de l’existence prénatale est unique en soi. Réfléchissons par exemple au seuil que vit l’individu à la naissance, passant d’une existence vécue entièrement dans un univers liquide à une vie dans le monde extérieur. L’alimentation, le fonctionnement des systèmes corporels, l’activité sensorielle – tout cela a d’abord été vécu dans le contexte d’un « univers liquide. » En nous efforçant de nous créer une imagination du processus vécu d’abord durant les derniers jours avant la naissance, et ensuite de l’expérience d’un seuil menant à une réalité tout autre, nous pouvons nous approcher en esprit du cœur même de ce que veut dire « devenir un vrai être humain. »
Cette puissante transition d’un état d’être à un autre est à la fois archétypale et monumentale, et joue un rôle central dans l’évolution de l’être humain. Nous sommes sans cesse confrontés à des seuils, laissant derrière nous des états d’existence qui nous ont bien servi et qui ont atteint leur but, pour aller de l’avant vers de nouvelles conditions d’existence. Ces transitions demeurent, de par leur nature même, inconscientes, à moins qu’elles ne provoquent de la douleur ou de la souffrance. En effet, nous vivons ces seuils critiques de transformation comme dans un état de rêve, et dans cet état de rêve, nous perdons la possibilité de nous relier consciemment à ces « points miracles » de notre parcours d’êtres humains.
Et de même que nous rencontrons en tant qu’individus ces seuils, l’humanité entière aussi vit un développement analogue. Rudolf Steiner énonce clairement que l’humanité se trouve actuellement devant un tel seuil qui annonce l’avènement d’une réalité fondamentalement différente. Il décrit de maintes façons combien nous devrons nous préparer à vivre de profondes transformations pour être en mesure de confronter cette « nouvelle naissance. » Le contexte global dans lequel cette transformation se produit annonce une nouvelle ère dans l’histoire de l’humanité. L’ère qui a précédé la nôtre, l’Âge des ténèbres, a pris fin. Ce fait, nous pouvons le concevoir en pensée, mais réussir à transformer cette pensée en expérience vécue est chose beaucoup plus ardue. Comment entamer ce processus ? Comment collaborer à sa mise en marche ? Comment nous encourager les uns les autres à nous éveiller à ce qu’il faut faire en tant qu’individus et en tant que communautés pour participer à cette transformation culturelle monumentale ?
Pour placer ce phénomène dans son contexte, considérons le fait que dans tout le courant de l’histoire de l’humanité il y avait eu seulement trois transitions d’une telle ampleur avant que ne se produise ce véritable « tournant des âges. » Nous pouvons commencer par concevoir sous forme de concept l’immensité de cette réalité, mais pour qu’elle devienne une réalité vivante nous devons nous munir d’une conscience et d’une attention renforcées. En tant qu’élèves de Rudolf Steiner, nous sommes appelés à participer activement à ce processus. Comment le faire ? Qu’est-ce qui peut nous servir de guide dans cette tâche ?
Chaque automne, alors que les collines de Dornach s’enveloppent d’une douce lumière grise qui annonce l’approche de l’hiver, un organe qui occupe une place unique dans l’ensemble de notre vie anthroposophique se réunit au Goethéanum. Des lecteurs de Classe de partout dans le monde se rassemblent dans le Schreinerei (atelier de menuiserie), là où Rudolf Steiner a donné vie à l’École de Science de l’esprit, une manifestation terrestre de l’École cosmique de Michaël. Au cours des années, ces conclaves se sont organisés autour de la question de comment nous pouvons vivre l’avènement de la nouvelle ère. Comment observer les fruits que l’ère maintenant révolue nous a donnés, mais aussi les obstacles qu’elle a dressés sur notre chemin, de manière à ce que nous puissions vivre une vie en anthroposophie orientée vers ce qui doit apparaître à l’avenir ?
En considérant les qualités et les obstacles que l’Âge des ténèbres nous a apportés, nous nous trouvons confrontés à un problème essentiel – la tension qui s’est développée entre l’individu et la communauté. Nous pouvons même dire qu’au cœur même de l’âge du Kali Yuga se trouve l’émergence de « l’individu libre » – l’individu qui n’est plus déterminé par la communauté dans laquelle il vit. Mais, cet « individu libre » n’a de signification que par rapport à une nouvelle communauté qu’il choisit librement. Prendre conscience de cet état de fait peut représenter pour beaucoup de nos contemporains, et pour beaucoup d’entre nous au sein du mouvement anthroposophique, quelque chose d’incommodant, de pénible. Car cela provient de notre lutte, une lutte séculaire, en vue d’accéder à la constatation de la dignité de l’individu. Et pourtant, cet état de liberté se transforme rapidement en isolement et en aliénation si nous ne choisissons pas en toute liberté de cultiver les facultés nécessaires pour confronter cette nouvelle ère, cette nouvelle réalité.
Pour nous aider à découvrir comment nous orienter de façon saine et guérissante à l’intérieur de ce mouvement qui va de l’individu vers la communauté, nous devons examiner la structure fondamentale de nos communautés. Lorsque nous jetons un regard sur l’ère qui a mené à l’émergence de l’individu libre, nous nous rendons compte que toutes les structures que nous avons héritées de cette ère sont axées sur les « droits » de l’individu émergent. La question centrale a toujours été : « Qu’est-ce que la communauté peut faire pour moi ? » Cette tendance à mettre l’accent sur son intérêt personnel a été une étape essentielle pour consolider l’intégrité de l’individu en développement. Mais à l’heure actuelle, nous devons nous demander si cette orientation n’est pas devenue un obstacle de taille qui empêche la transformation nécessaire de notre culture humaine.
Le cercle international des lecteurs de Classe s’est penché sur cette question de plusieurs façons. Une des manières d’envisager une solution est de concevoir le développement d’une Culture d’entente. Mais pour que cette notion devienne même concevable, nous devons vivre une profonde transformation de nos rapports en tant qu’individus à la communauté que nous avons choisie, à notre communauté anthroposophique. Que peut vouloir dire vivre la transition d’une vie au sein d’une culture axée sur les privilèges de l’individu vers une communauté d’individus libres unis sur la base du principe de l’entente mutuelle ?
Pour que cela soit même envisageable, nous devrons, chacun de nous, modifier la manière dont nous construisons notre image de nous-mêmes et qui est l’héritage d’une ancienne réalité aujourd’hui révolue.
Rudolf Steiner a indiqué bien des façons de donner forme à ce processus. Pour les artistes plasticiens, nous avons un exemple privilégié de cette transformation des rapports entre l’individu et la communauté. Nous pouvons songer au rapport unique qui a existé entre Rudolf Steiner et Edith Maryon, première responsable de la Section des arts plastiques. L’essence de la transformation en question est exprimée avec une puissance remarquable dans la sentence tripartite que Rudolf Steiner a donnée à Edith Maryon, un verset qui peut servir de base sur laquelle construire un nouvel avenir en orientant de manière inédite les rapports entre l’individu et la communauté.
Ce qu’il y a de plus frappant dans cette sentence, ce sont les mots du début. Pour traverser ce seuil, l’humanité doit reconnaître que nous sommes plongés dans un processus dont l’issue n’est pas encore évidente. En effet, nos interrelations sont imprégnées d’éléments du passé qui nous éloignent d’un état de complétude, d’un état de santé. Pour pouvoir emprunter ce chemin vers la transformation, les individus aussi bien que les communautés doivent voir que nous sommes dans un état de fragmentation, qu’il faut y apporter une guérison. Et, ce processus de guérison n’est pas donné, il dépendra des conditions que nous créerons.
Chose encore plus étonnante, c’est de se rendre compte que la première étape de ce processus de guérison dépend entièrement d’une transformation importante de la manière dont nous, en tant qu’individus libres, cultivons la vie de notre propre âme. D’après l’orientation habituelle que nous avons reçue en héritage, nous ressentons notre propre vie psychique comme étant le centre de notre univers individuel. Mais pour que la guérison se réalise, nous sommes appelés à effectuer une transformation fondamentale de notre vie intérieure. Nous sommes appelés à faire de notre âme un réceptacle calme, immobile, un miroir capable de permettre, sans aucune distorsion, que l’essence de la communauté prenne forme dans notre expérience intime personnelle. Nous sommes appelés à ne pas vouloir projeter sur notre monde, sur notre environnement humain, ce qui correspond à notre expérience psychique individuelle. Nous devrons plutôt permettre à l’essence, la profonde nature intime de nos semblables, de se refléter dans nos vies intérieures réceptives et ouvertes.
Ce n’est donc que lorsque chaque membre de la communauté réussit à créer cet état de tranquillité réceptive en sa propre âme que la communauté elle-même jouira d’une capacité de discernement; elle saisira alors non pas ce que les individus croient être leurs capacités individuelles, ni même ce qu’ils pensent devoir contribuer à la communauté, mais plutôt ce que chaque individu possède en son for intérieur – cette capacité tout à fait unique de contribuer à la guérison de la communauté.
Et c’est alors que nous pourrons commencer à cheminer ensemble vers une communauté fondée sur le principe de l’Entente plutôt qu’une communauté basée sur la notion des droits individuels.
Il n’y a guérison que
Lorsque dans le miroir de l’âme humaine
La communauté entière prend forme,
Et que dans la communauté
Vit la force de l’âme individuelle.
Je vous envoie mes salutations les plus chaleureuses,
Bert Chase,
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