23 Oct NÉCROLOGIE – Yaqoob Muhammed Ghaznavi – Hommage prononcé par le Révérend Jonah C. Evans
(Tous les poèmes sont tirés du recueil : Under the Almond Tree « Sous l’amandier »)
Yaqoob est né le 9 février 1942 à Kanpur, en Inde. Il est né dans une grande famille où régnait beaucoup d’animation et d’amour. Et malgré le fait qu’il entretenait des rapports très étroits avec son frère aîné, sa grand-mère et plusieurs de ses cousins les plus proches, Yaqoob ne parlait jamais beaucoup de son enfance. On pouvait ressentir que l’époque de son enfance est quelque chose qu’il portait en son for intérieur et qu’il laissait transparaître uniquement à travers ses poèmes.
Les Ghaznavi se sont installés à Karachi, au Pakistan, en 1947. C’est dans cette ville qu’il a grandi et qu’il a reçu son premier diplôme universitaire. C’est là aussi qu’il a développé, avec Nasim, son grand ami d’enfance, son goût pour la poésie.
Il n’y a probablement que Yaqoob lui-même qui aurait pu expliquer pourquoi il avait pris la décision de quitter le Pakistan. Mais il a partagé avec Antje le fait que son frère aîné, Farooque, pour qui Yaqoob avait le plus grand respect et beaucoup d’affection, lui aurait dit que ce serait une bonne idée que de s’établir en Angleterre. Et voilà qu’en 1961, Yaqoob a émigré en Angleterre. En même temps, son meilleur ami, Nasim, s’est installé en Allemagne.
Mais l’Angleterre s’est avéré décevante, dans ce sens que Yaqoob a vite compris les limites de ce qu’il allait pouvoir y accomplir. Il a connu la douloureuse réalité de l’attitude qui y régnait et qui se résumait dans le cri de : « Retourne chez toi, Paki! » Et c’est effectivement cette lutte contre les préjugés que Yaqoob m’a confié être, lors d’une de nos dernières conversations, la lutte la plus difficile de toute sa vie.
C’est donc en 1962 qu’il a quitté l’Angleterre pour aller rendre visite à son ami Nasim à Hambourg, en Allemagne. Nasim lui a expliqué que lors de son arrivée, il s’était inscrit dans un cours d’allemand. Et malgré le fait que ce dernier ait encouragé Yaqoob à s’installer en Allemagne, où les études universitaires étaient gratuites, Nasim lui-même allait déménager dans une autre ville – Braunschweig. Yaqoob a pris la décision de s’inscrire à l’université et il a obtenu son diplôme à la fois en engineering et en économie. Pour gagner un peu d’argent, il tondait le gazon du terrain de golf de l’ambassade américaine. Il est tombé amoureux de la littérature allemande (dont les œuvres de Lenz, de Böll, et de Frisch.)
Un tournant de sa vie s’est produit en 1963 lorsqu’il a décidé de visiter la ville de Berlin. Et là, un soir fatidique (!) il a décidé d’aller dans un disco où il a rencontré l’amour de sa vie, Antje; et cela a été le début d’une relation qui allait durer plus de 50 ans. Au bout de quelques moments de résistance et de plusieurs sorties ensemble avec d’autres couples, Yaqoob et Antje se sont mariés. Peu de temps après, en 1966, Corinna est née, et ensuite en 1970, Nadim est descendu sur terre. J’ai demandé à Yaqoob juste avant qu’il ne traverse le seuil quel avait été le plus grand cadeau que la vie lui avait donné – de quoi il était le plus fier. Sa réponse : « Ma relation avec Antje et avec mes enfants. » Mais quand j’ai demandé à la famille quelle avait été sa lutte la plus ardue, ils m’ont tous répondu que cela avait justement rapport avec les trois – Antje, Corinna et Nadim. Il arrive souvent en effet que notre plus grand cadeau est aussi notre faiblesse. Yaqoob a traversé le seuil pénétré d’un profond amour pour sa famille, mais en même temps portant un déchirant souci quant à leur bien-être.
En 1969 Yaqoob a reçu son diplôme universitaire et a été rapidement engagé par la compagnie aérienne Lufthansa pour assurer le contrôle de l’horaire des réparations pour les avions 747 de Boeing. Ceci n’a été que le premier d’une série d’emplois au sein d’entreprises qui allaient confier beaucoup de responsabilité au travail assidu et fiable de Yaqoob.
Mais étant donné la loi allemande qui imposait une limite de 10 ans de résidence au pays, il était clair que la famille allait devoir émigrer dans un pays qui permettrait une résidence permanente. Ils ont pensé à l’Australie et l’Irlande, mais c’est finalement au Canada qu’ils ont établi leur foyer.
C’est donc en 1972 que la famille est arrivée à Montréal, mais dans sa recherche d’emploi, Yaqoob a découvert qu’il avait de la difficulté à assimiler la langue française. Il a donc fait de l’auto-stop jusqu’à Toronto pour chercher de l’emploi. Là, il a trouvé du travail comme comptable chez la compagnie d’ordinateurs Bourroughs. Il a entamé ainsi sa carrière dans le domaine de la comptabilité et la gestion financière. Il a loué une chambre chez notre chère Sybille Hahn, ce qui a donné naissance à une amitié qui allait durer toute une vie. Entretemps, à Montréal, la famille vivait avec difficulté. Yaqoob faisait l’aller-retour, toujours en stop. Ils ont vécu des moments durs, mais les membres de la communauté anthroposophique et de la Communauté des Chrétiens ont offert beaucoup d’aide à la famille pour qu’ils trouvent à se loger et à vivre convenablement.
Yaqoob a travaillé dur et a gravi les échelons de la hiérarchie du personnel de la Bourroughs. Il inspirait de l’affection et du respect, à tel point qu’il a reçu un poste au sein de la direction de l’entreprise, ce qui nécessitait un déplacement jusqu’à Détroit. Et presque immédiatement suivant ce déménagement, on lui a demandé d’assumer le poste de gérant financier pour l’Asie du Sud Est. Pour qu’il puisse exercer ce nouveau poste, Yaqoob et Antje ont pris la décision de s’installer à Hong Kong.
Au terme d’une période riche en voyages et en nouvelles expériences en Asie, la compagnie a demandé à Yaqoob de prendre un poste soit en Allemagne, au Canada ou à Détroit. Mais suivant la décision de retourner vivre à Détroit, une « restructuration » de l’entreprise a fait que Yaqoob a perdu son emploi.
Le destin a voulu que, dès que Antje a appris la nouvelle, elle à téléphoné à l’école Waldorf de Toronto. Allen Hughes, à l’autre bout du fil, a entendu la voix d’Antje qui demandait un poste à temps plein comme professeur d’eurythmie, avec un salaire suffisant pour soutenir sa famille ! Allen a répondu : « Oui » (avouez donc que c’est comme ça qu’on doit faire une demande d’emploi !!)
De retour à Toronto, Yaqoob a connu James Gillen qui lui a offert un emploi comme gérant de comptabilité au sein de son entreprise. Cela a marqué le début de sa carrière de comptable et conseiller financier indépendant, travail qu’il adorait. Yaqoob a dit alors qu’il ne travaillerait plus jamais dans une grosse entreprise. Et en effet, toutes les compagnies pour lesquelles Yaqoob a travaillé l’ont beaucoup apprécié et l’apprécient jusqu’à ce jour. On avait beaucoup d’estime pour ses capacités au niveau des finances et aussi dans le domaine de la résolution de conflits. Mais non seulement les entreprises, mais aussi la communauté tout entière, a profité de son empressement à venir en aide pour remédier aux faiblesses dans le domaine des finances que nos communautés ne connaissent que trop bien. Selon certains, sans Yaqoob Hesperus n’aurait jamais vu le jour.
En 2002 Yaqoob s’est mis à écrire des poèmes de manière sérieuse, et il est devenu membre d’un cercle de poésie. Ses collègues poètes admiraient « la clarté de ses images, la simplicité de son langage, la profondeur du contenu – et le fait que ses poèmes sonnent « vrais » comme s’il s’agissait de véritables expériences de vie exprimées avec justesse ».
Je crois qu’on peut affirmer que le chemin spirituel de Yaqoob était en réalité la poésie. C’est là qu’il trouvait sa muse, l’esprit, la créativité, les Anges… (v. p. 14).
“silver night nuit argentée
stand frozen reste immobile, glacée
I sense angels je sens des anges
reaching down qui descendent
stepping onto se posant
my open palm sur ma main ouverte
they melt ils fondent
like prayers comme des prières
warming réchauffant
my soul” mon âme
Yaqoob trouvait ses anges dans les mots. Sa religion était celle de la famille et de la modestie. Il trouvait la lumière dans la littérature et dans les tours de magie qu’il exécutait devant ses enfants et ses petits-enfants. Par moments on pouvait voir de la lumière aussi dans ses yeux. Il y a à peine quelques jours, quand je suis entré dans son appartement, il était là, assis, le visage radieux malgré son corps si faible et décharné. Une lumière d’ange émanait de son regard pendant qu’il lisait des poèmes à ses petites filles. Son amour et sa joie dans ce moment privilégié, assis sur son lit de mort – c’était une lumière solaire, une des plus belles choses que j’ai jamais vues.
Et je voudrais partager avec vous un autre moment de cette même lumière qui est survenue d’une manière tout à fait inattendue. J’avais toujours senti que le rapport de Yaqoob avec l’anthroposophie et la Communauté des Chrétiens dépendaient seulement d’Antje. Quand je lui ai demandé s’il souhaitait recevoir l’extrême onction, il m’a répondu, de sa manière habituelle : « Eh bien, je ne vois pas ce que cela changera. Je n’ai pas vraiment la foi, mais qui suis-je pour refuser un sacrement ? Cela ne peut pas faire de mal. » J’ai eu l’impression que ce n’était pas que Yaqoob résistait, mais qu’il était plutôt question de sa modestie, de son humilité, de son authenticité. Il avait toujours soutenu nos communautés spirituelles avec ses capacités dans le domaine des finances et avec une sincère volonté de nous porter. Mais maintenant que c’était lui qui devait recevoir au lieu de donner, il n’avait plus tant de certitude. Et lorsque le moment était venu de lui administrer le sacrement, voilà que sont apparus soudainement trois piliers de notre communauté spirituelle : Renate, Ute et Alexandra. Celles-ci étaient venues sans savoir que le sacrement était sur le point d’être administré. Cette rencontre karmique, où il y avait aussi Antje elle-même – un autre pilier spirituel – a donné de la force à cet acte sacramentel. Et lorsque j’ai touché son front avec l’huile bénite, ses yeux ont rayonné d’une lumière absolument inattendue et avec une force que j’ai rarement vue. La grâce qu’a apportée la présence de Renate, Ute et Alexandra a témoigné de l’importance que Yaqoob représentait pour notre communauté spirituelle. Extérieurement, il n’était pas anthroposophe, mais en son for intérieur il l’était d’une manière très profonde. En effet, le vrai but du mouvement anthroposophique, la véritable tâche de la Communauté des Chrétiens, c’est que nous nous portions les uns les autres, ce qui implique que nous nous portons mutuellement dans notre karma, autant dans nos faiblesses que dans nos forces, avec tolérance et fidélité – sans jamais rejeter l’autre. Et Yaqoob nous a portés de bien des manières.
D’une profonde modestie – il ne cherchait jamais à attirer l’attention sur lui-même.
Plein de bonté – et pourtant souvent intransigeant et entêté.
Possédant une grande égalité d’âme – il apportait la paix, établissant souvent un calme pour éteindre les feux au sein de la famille.
Profondément solitaire – et toujours généreux.
Il adorait les contes et le rôle de conteur.
Et, bien que nous soyons tous obligés de suivre notre propre chemin, Yaqoob nous rappelle le fait que seul l’amour peut réussir à rendre notre chemin personnel supportable et significatif. …. (p. 15).
fresh snow une neige nouvelle
covers the trail couvre le sentier
through the woods dans le bois
footprints of wandering souls traces d’âmes errantes
countless impressions des impressions sans nombre
crowd the white ground jonchent le sol blanc
immersed in solitude plongé dans ma solitude
I walk the trail je parcours le sentier
to the end jusqu’au bout
meeting no one sans rencontrer personne
seeing nobody sans voir âme qui vive
looking back jetant un regard derrière moi
my footmarks are gone les traces de mes pas ont disparu
carried away emportées
with tenderness délicatement
by the wind par le vent
my brother, my I mon frère, mon moi
À la fin, lorsque son corps a fini par se rendre à la maladie et que le cancer l’a vaincu, Yaqoob a été emporté – emporté par l’amour de sa communauté, par l’amour de ses Anges, par l’amour de sa famille.
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