MOT DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL La Société dans le monde

MOT DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL La Société dans le monde

Nos blessures, notre guérison

Chers membres et amis de la Société anthroposophique au Canada,

Il y a bien des années, pendant ma formation en architecture au Collège Emerson à Sussex, en Angleterre, j’ai eu la chance d’entendre parler un des grands noms de la médecine anthroposophique, venu des Pays-Bas comme conférencier invité. Le thème de sa conférence était « les blessures et leur guérison ». Un de ses énoncés, si simple à première vue, m’a profondément touché et me sert de guide encore aujourd’hui. Ce qu’il a prononcé de manière si succincte, une devise qui résumait sa longue carrière dans le domaine de la médecine anthroposophique :

« La blessure, une fois guérie, devient organe de perception. »

Nous connaissons tous le phénomène de la cicatrisation d’une blessure physique. La chair cicatrisée possède une plus grande sensibilité. Le médecin-conférencier a donné cet exemple pour nous aider à comprendre quelque chose de beaucoup plus profond : la blessure de l’âme. En effet, les blessures que nous subissons constituent le chemin d’incarnation que nous avons choisi avant notre naissance, découlant d’intentions générées durant nos incarnations précédentes. C’est peut-être le plus grand cadeau que l’anthroposophie nous ait donné, cette révélation bouleversante que ce qui vient vers nous dans notre vie surgit des profondeurs des mystères du destin et constitue le visage du karma. Rudolf Steiner considérait que sa tâche fondamentale consistait à communiquer à l’humanité de notre époque la réalité de l’action du karma et le rôle central que joue l’Archétype de l’Humanité dans ce processus.

À mesure que nous cheminons à travers nos vies, rencontrant les situations et les conditions que nous avons préparées d’avance, nous nous trouvons face à ce qu’il nous faut pour pouvoir réaliser ce qu’il n’est possible de réaliser que dans l’incarnation – la transformation des obstacles que nous avons accumulés le long de ce remarquable voyage vers le véritablement humain. Si nous portons une attention toute particulière à notre biographie, nous pouvons reconnaître que ce sont les moments où nous nous sommes sentis blessés, profondément meurtris, qui ont ouvert des portes vers une plus grande connaissance de nous-mêmes.

Mais, nous devons choisir de franchir ces portes.

En réfléchissant à ce processus exceptionnel, nous en arrivons aussi à reconnaître qu’en suivant ce « chemin de vie », en quête de notre véritable essence, nous développons de remarquables sensibilités qui deviennent réellement des organes de l’âme. En devenir conscient, s’éveiller à ce phénomène, représente quelque chose qui s’avérera critique pour notre époque, alors que nous nous trouvons au début d’une étape entièrement nouvelle dans l’histoire de l’humanité.

L’ère qui s’est terminée avec la fin du 20e siècle a vu se concrétiser l’expérience de notre individualité : nous sommes chacun un individu distinct face aux autres individus. Nous nous sentons enfermés à l’intérieur de notre propre expérience d’être, confrontés à un monde autour de nous qui est étranger à notre soi personnel; et ceci représente effectivement une étape essentielle dans l’histoire de l’humanité. Cette expérience a infligé à notre âme une blessure, un sentiment d’aliénation à l’égard de nos semblables et du monde environnant; nous nous sentons isolés à l’intérieur de nos propres identités, dans cette « illusion » de soi.

C’est donc dans ce contexte universel que nous avons reçu ce cadeau extraordinaire nous permettant d’entamer la guérison de notre blessure d’isolement : cette Société de chercheurs en anthroposophie, dont l’impulsion centrale vise à cultiver la vie de l’âme dans l’individu et dans le monde. Cette Société anthroposophique est un lieu qui permet que l’on guérisse la blessure infligée par l’ère qui est maintenant derrière nous.

Nous pouvons nous étonner devant l’idée que les initiatives de Rudolf Steiner ont amené à la conscience ce qui commençait à faire jour dans les âmes des êtres humains. Nous pouvons nous émerveiller devant la naissance d’un chemin de guérison psychothérapeutique qui convient spécifiquement aux besoins notre époque. Ce chemin a vécu ses premiers balbutiements alors même que Rudolf Steiner décrivait avec clarté le drame de l’âme humaine contemporaine. Nous sommes touchés en observant comment ce vécu d’âme généralisé avait besoin que l’on trouve un nouveau langage pour décrire ces nouvelles expériences naissantes. Cette recherche a fourni une autre manière de percevoir nos rapports avec nos semblables, une qualité que nous avons commencé à nommer « empathie ». Il s’agit de la prise de conscience collective d’une profonde aspiration de l’âme humaine, que Rudolf Steiner situe de manière remarquable dans le contexte de nos incarnations antérieures.

Notre conseil a tenu sa réunion d’hiver à Calgary, en Alberta. Là, nous avons profité de l’occasion pour travailler avec les membres locaux justement sur cette question : explorer ce processus fondamentalement humain de confronter les blessures de nos âmes dans le contexte de notre vie commune dans l’anthroposophie. Nous avons passé une journée ensemble à travailler en petits groupes dans le but de créer des espaces d’écoute profonde, sans juger, dirigeant une attention active vers l’autre – éléments fondamentaux qui permettent de développer cette nouvelle capacité. On peut se demander si ceci aurait été possible à une époque antérieure où la sympathie et l’antipathie – les forces contraires qui habitent nos âmes – prenaient plus facilement le dessus. Ici encore, la conscience que Rudolf Steiner a éveillée en nous nous est d’un grand secours, thérapeutique même. Quelque chose surgit dans notre âme lorsque nous sommes confrontés à un autre qui souffre d’une blessure non guérie. D’une part, on peut ressentir un besoin urgent d’assumer nous-mêmes le processus de guérison, de l’accélérer, de guérir la blessure pour l’autre. Là, la sympathie entre en ligne de compte dans notre rapport avec l’autre, et avec cela nous effectuons une intrusion luciférienne dans la vie de son âme. Ou, d’autre part, nous pouvons ressentir un besoin pressant de nous débarrasser de la blessure – de la cautériser; dans ce cas, nous pratiquons une invasion ahrimanienne dans la vie de l’âme de l’autre. Dans les deux cas, nous devons nous demander si en réalité nous favorisons le processus de guérison ou si au contraire nous l’entravons.

Ou encore, nous pouvons nous demander, en cherchant à nous rencontrer les uns les autres dans le contexte de cette Société anthroposophique – dont l’existence même est conçue pour cultiver la vie de l’âme dans l’individu et dans la communauté – si nous nous sommes engagés vis-à-vis de l’autre pour que nous découvrions ensemble un chemin médian entre ces deux polarités.

Et quel serait ce chemin du milieu ? Comment pourrais-je reconnaître sa présence en ma propre âme ? Comment pourrais-je le reconnaître dans mes rencontres avec mes semblables ? Voilà les questions devant lesquelles nous nous trouvons comme membres du conseil – des questions significatives qui ont le pouvoir de nous façonner et de nous guider.

À mesure que nos journées passées ensemble tiraient à leur fin, nous avons partagé un  sentiment de profonde reconnaissance; nous avions œuvré ensemble dans un esprit de réceptivité, portant une attention toute particulière à la vie d’âme des autres. En route pour l’aéroport, chacun de nous pouvait ressentir en son for intérieur une intense chaleur à l’égard de nos collègues chercheurs en anthroposophie – une profonde aspiration vers la guérison.

Dans nos grands centres, les membres ont l’occasion de trouver des individus avec lesquels ils peuvent assumer cette tâche délicate de travailler à devenir véritablement humain. Mais, faire face à ces défis de taille n’est peut-être pas aussi évident dans beaucoup de nos petits centres à travers le pays. Là où les cercles de membres sont plus réduits, plus isolés, il devient plus difficile de découvrir comment porter avec nos semblables cette douleur fondamentale de la condition humaine contemporaine.

Et pourtant, même ceux qui sont assez privilégiés pour faire partie de centres anthroposophiques actifs et dynamiques peuvent se trouver « enneigés », comme isolés en eux-mêmes par une tempête de neige. Nous devons donc cultiver ensemble la conscience que, partout à travers le pays, il y a des petits groupes isolés de membres qui, dans ce cosmos d’âme que nous partageons tous, travaillent de manière sincère et consciencieuse à cultiver cette merveille de la guérison humaine.

Portez-les en vos âmes, ces membres, avec chaleur.

Mes salutations chaleureuses,

 

 

 

 

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