Alimentation saine : choisir la vie – Par Michel Dongois

Alimentation saine : choisir la vie – Par Michel Dongois

La Dre Daphné von Boch

Psychologue et médecin anthroposophe, la Dre Daphné von Boch, née à Montréal et résidant en Suisse, est légataire de l’oeuvre du Dr Otto Wolff*, dont elle fut l’élève la plus proche. Elle a donné en février une conférence et un atelier sur la nutrition à l’École Rudolf Steiner de Montréal, à l’invitation de Renée Cossette et d’Arie van Ameringen. Cinquante personnes assistaient à la conférence et vingt à l’atelier.  La Dre von Boch a expliqué l’essence d’une saine alimentation, dans le but d’aider chacun à faire des choix éclairés au-delà des modes et des contradictions. Entrevue.

 

Comment avez-vous découvert l’anthroposophie ?

Étudiante en psychologie en Argentine, où nous avons déménagé quand j’avais 8 ans, je cherchais à approfondir le lien qui existe entre le corps et l’âme. Le freudisme, qui explique tout par la sexualité, ne m’était d‘aucun secours. J’ai découvert l’anthroposophie à 20 ans, grâce à ma soeur qui fréquentait l’école Waldorf. Quelle révélation d’apprendre que l’être humain poursuit après la mort son cheminement entrepris bien avant la naissance, sans se dissoudre dans le grand tout ! La vie prenait ainsi un sens pour moi, avec l’objectif d’un développement personnel.

À la fin de mes études en psychologie, j’ai découvert la médecine anthroposophique lors d’un atelier de trois semaines en Argentine, qu’animait le Dr Wolff. J’y ai vu non seulement la connexion du corps et de l’âme, mais aussi leur relation avec le cosmos. J’ai senti que c’était là une révolution à laquelle je devais prendre part. Alors j’ai étudié la médecine classique et son complément anthroposophique. J’ai longtemps exercé dans deux cliniques anthroposophiques pour malades chroniques. Durant toutes ces années, j’ai vérifié que la médecine fonctionne mieux si l’on ajoute la nutrition.

 

D’où vient votre intérêt pour la nutrition ?

De mes expériences personnelles, à la fois comme patiente et comme médecin. À 21 ans, j’ai suivi un régime sans sucre de quatre semaines, pour divers problèmes de santé. Une diète jumelée avec des médicaments anthroposophiques.

 

Quel regard posez-vous sur la médecine conventionnelle ?

C’est une bénédiction lorsqu’il s’agit de sauver des vies, d’agir vite pour des personnes qui se trouvent entre la vie et la mort. Mais une médecine de sauvetage ne saurait guérir vraiment. Pour guérir, il faut du temps. J’étais déçue que la médecine classique ne s’intéresse pas à la nutrition, ou si peu, sauf pour le diabète. La nutrition fait partie de la médecine. Manger de mauvais aliments pendant des décennies finit par abîmer le corps, comme un empoisonnement à petit feu.

 

Y a-t-il une règle d’or en matière de nutrition?

Quelques participants à l’atelier donné par la Dre von Boch à l’École Rudolf Steiner de Montréal.

Oui, c’est de se poser la question suivante : qu’est-ce qu’un bon aliment ? Manger nous garde en vie, donc un bon aliment, c’est celui qui contient beaucoup de vie. Seuls les animaux et l’homme doivent manger. Les plantes, elles, créent leurs substances vives avec la lumière (photosynthèse). Quand elles n’ont plus de lumière, elles arrêtent aussitôt de faire leurs substances vives, les hydrates de carbone. La vie, c’est de la lumière prise dans la substance. Et c’est cette vie qui nourrit les animaux et l’homme. Les aliments crus ont plus de vie que les aliments cuisinés, parce dès qu’on les chauffe, on commence à les détruire et ils perdent une partie de leur vie.

Les animaux, qui ont déjà brûlé la vie pour leur chaleur, leur mouvement et leur conscience, ont moins de vie que les plantes. Les pires aliments sont ceux qui sont déjà préparés et très cuits, achetés au supermarché. Cuisinés depuis des jours déjà, ils ont perdu presque toute vie. En plus, ils contiennent toutes sortes d’additifs synthétiques que le corps ne reconnaît pas. Il ne connaît que les substances naturelles, pas celles qui sont fabriquées en laboratoire. En bref, il s’agit d’envisager la nutrition à partir des forces de la vie, et non à partir des seules substances.

 

Comment faire des choix appropriés parmi la diversité des aliments ?

D’abord, en distinguant bien de quels aliments on parle. En gros, ils forment une trilogie, certains pouvant recouper plusieurs catégories :

– Les aliments transmetteurs de vie (Lebensmittel, en allemand) : fruits et végétaux; lait et produits laitiers, biologiques à cause du meilleur traitement de la vache. Surtout, pas de lait de longue conservation UHT, chauffé à haute température, ce qui détruit la vie.

Le poisson aussi déborde de vie; c’est pourquoi il peut donner vie à des centaines de petits bébés poissons. Le pain de seigle au levain également transmet beaucoup de vie. Il acquiert sa force en résistant à de basses températures quand il pousse. En Allemagne, on l’appelle « le pain des soldats », les soldats devant avoir beaucoup de force et de vie.

– Les aliments transmetteurs de santé, de guérison (Heilmittel), les remèdes : le miel, qui provient des abeilles et du nectar, concentré de force de la fleur, partie de la plante la plus proche de la lumière. Le consommer avec modération cependant; au maximum une cuiller à thé par jour. Le yogourt naturel qui, comme le levain, contient du lactate, un fortifiant du foie et qui améliore les bactéries de l’intestin. Aussi le grain, seulement s’il a gardé son pouvoir de germer; il contient alors encore en lui toute la plante vivante pendant un ou plusieurs hivers.

– Les aliments pour le plaisir (Genussmittel) : sucre, café, chocolat, thé noir, amidon, alcool, etc.

Privilégions les aliments les plus naturels (plantes, lait, beurre, viande). Écartons le plus possible les aliments transformés (sucre, alcool, etc.) et ultra-transformés (saucisses, produits instantanés, boissons gazeuses, repas préparés des supermarchés). Non seulement la vie, dans ces produits, a presque complètement disparu, mais ils contiennent des produits synthétiques, des colorants, des agents de conservation.

 

Vous avez bien des réticences face à la vitamine D. Pourquoi ?

Parce que ce n’est pas une vitamine, mais une hormone. Notre corps produit déjà sa propre vitamine D. Si on lui en redonne, ce n’est plus de la prophylaxie, c’est une overdose, la mode du jour consistant à en consommer pour tous les problèmes, de la tête jusqu’aux pieds.

Quand on produit nous-mêmes notre vitamine D, le calcium nécessaire est absorbé dans le sang. En rajouter artificiellement force plus de calcium à entrer dans le sang. De grandes quantités de calcium se déposent alors dans les artères en favorisant l’artériosclérose, y compris dans les artères du cerveau, ce qui peut conduire à une démence. On prescrit par exemple la vitamine D contre l’ostéoporose, dans l’espoir de renforcer les os. Or, à la radiographie, on voit le calcium se loger non pas dans les vertèbres, mais dans l’aorte. Ce n’est pas seulement le corps qui se rigidifie alors, mais toute la personne, incluant ses facultés mentales.

 

Pourquoi mettez-vous souvent en garde contre le sucre ?

Le sucre est une exception dans l’alimentation, car il peut faire des cristaux. Or, seul le minéral mort fait des cristaux, pas les substances vivantes. Le sucre est cuit jusqu’à ce qu’il n’ait plus du tout de vie. Mort, il peut devenir cristallin. C’est parce qu’il est complètement mort qu’il ne change plus. Une pomme par exemple se décompose au bout d’un certain temps à travers les bactéries qui la détruisent et la vident de sa vie propre. Le sucre, lui, ne se détruit plus, parce qu’il n’a plus aucune vie. Même les bactéries ne peuvent vivre du sucre.

Le sucre provient certes de la vie (betterave sucrière, canne à sucre), mais il ne contient plus de vie, il lui reste seulement de l’énergie morte. C’est pour cela qu’il donne une illusionde force. Un apport important de sucre donne d’abord un bon coup de pouce, ça c’est l’énergie. Mais ensuite vient la fatigue, dans la mesure où l’illusion d’être fort nous amène à trop nous dépenser. On compense alors en prenant de nouveau du sucre, et c’est un cercle vicieux, le commencement d’un comportement de dépendance. Le sucre est une drogue qui nous ouvre la porte aux autres drogues plus fortes.

 

Comment se sevrer de cette drogue ?

Par une diète annuelle sans sucre de quatre semaines. Il faut aussi laisser aller tout ce qui contient du sucre, miel et sirop d´érable inclus. Les fruits frais, pas de problème. Cesser ainsi de consommer du sucre est un remède de cheval, mais ça marche. Pour avoir suivi pareil régime, j’ai constaté une crise entre le 10e et le 15e jour, mais vers la troisième semaine, ça allait déjà beaucoup mieux. À la fin de la cure, on a moins le goût du sucre et au bout de quelques années, on s’est libéré de la dépendance. Et l’on vit plus fort sans sucre.

En cas de fatigue aiguë ou chronique, de rhumes ou de cystites à répétition, d’allergie ou de cancer, on doit faire une cure sans sucre pendant au moins quatre semaines.  Normalement, le sucre ne devrait pas être consommé chaque jour, mais le dimanche seulement, ce qui n’abîmera pas le corps.

 

Peut-on contrer l’appauvrissement des aliments ?

Oui, par la méthode biodynamique, qui fait entrer dans la plante plus de lumière, avec de très bons résultats. On le voit à la couleur plus jaune, plus lumineuse de la plante, qui donne alors plus de grains, les fruits sont plus gros. Prenez une tomate cultivée en biodynamie. Quand on la coupe, l’eau n’en sort pas pour se répandre dans l’assiette, elle reste intégrée à la tomate. Quant aux animaux d’une ferme biodynamique, ils ont plus de bébés que ceux de l’élevage conventionnel, parce qu’ils débordent de forces qu’ils peuvent alors transmettre à beaucoup plus d’autres êtres.

Par ailleurs, s’il est une boisson très nocive, c’est bien l’alcool, même issu de la biodynamie. On l’utilisait jadis comme anesthésiant. Ce qu’il est toujours, certes de façon amoindrie, quand on le prend en petite quantité. Il nous rend lourds et diminue cette conscience que nous avons de nous interroger sur nous-mêmes et qui nous aide à devenir de meilleures personnes. Il nous éloigne ainsi de nos idéaux. La cigarette est pire au plan physique que l’alcool, mais l’alcool est pire au plan psychique. Quant à la marijuana, elle a les mêmes effets à cet égard que l’alcool.

Je ne recommande pas, par ailleurs, le champignon cultivé, car il pousse dans l’humidité et l’obscurité, non sur des plantes saines et pleines de vie. Le champignon n’a presque pas de vie, l’obscurité remplaçant pour lui la lumière. En plus, il contient de la chitine, la protéine présente dans les insectes.

 

Qu’en est-il de la viande ?

Elle a moins de vie que la plante. En manger deux fois par semaine, par exemple du poisson ou de la viande de vache ou de poulet, ça va, mais pas deux fois par jour. La viande peut aider les personnes qui peinent à être éveillées, mais pour les gens déjà bien éveillés, mieux vaut la garder pour le dimanche seulement.

Plus la constitution de l’animal se rapproche de celle de l’être humain, plus il est difficile d’identifier la protéine comme une protéine étrangère. Le corps l’absorbe alors sans l’avoir complètement détruite. Au plan physiologique, le cochon est l’animal le plus proche de l’être humain; le plus éloigné est le poisson. Le corps ne reconnaît pas les protéines issues du cochon, car elles sont proches de celles de l’humain. On risque ainsi de perdre un peu de notre humanité en mangeant du porc. Juifs et Arabes le savaient, eux qui évitent d’en manger. La viande de porc est aussi reconnue comme mauvaise pour les rhumatoïdes. Absorbées sans être complètement détruites, ces protéines étrangères sont déposées dans les articulations qui deviennent alors sujettes à l’inflammation.

Mieux vaut manger du poulet que du porc, le poulet étant déjà plus éloigné de l’homme que le cochon ou la vache, c’est un oiseau. Il s’agit aussi de regarder de quel animal, de quelle âme, on parle, de réfléchir à l’esprit qui vit derrière chaque animal. Prenez la chèvre, un animal insatisfait, qui veut toujours ce qu’elle n’a pas. À l’inverse, la brebis se satisfait de ce qu’elle a; avec rien, elle donne tout : la viande, le lait, la laine. Le mouton est plus sain que la chèvre.

 

Notre société a fait quelques folies en matière de nutrition, avez-vous indiqué lors de l’atelier. Que voulez-vous dire? 

Voyez la vache folle. Contraindre un animal strictement végétalien, donc qui ne mange aucun produit animal, à manger de la viande animale, c’est une folie des hommes, pas une folie des vaches. Dans le même ordre d’idées, on est en train de préparer les humains à se nourrir d’insectes. Déjà deux milliards de personnes mangent des grillons et des vers de farine. Si l’on regarde l’esprit derrière la substance, on voit que les insectes vivent dans l’obscurité, bougent comme des machines, dans un bruit mécanique. Alors, qu’en est-il des forces que nous absorbons d’eux? Une exception cependant, l’abeille, de couleur jaune, qui s’oriente par la lumière et ne touche terre que pour boire.

 

En résumé, que choisir, quoi éviter ?

On suggère dans notre assiette 30 % de cru par jour, soit une salade et un fruit. À éviter, le porc, les crustacés, qui ne se nourrissent que de cadavres, et les légumineuses, qui contiennent de la phasine, un poison que seule la cuisson détruit. Même cuisinée, une légumineuse est difficile à digérer et produit du gaz méthane. Les noix ont beaucoup de vie et sont très saines, sauf l’arachide, qui cache sa noix dans l’obscurité de la terre pour mûrir. C’est une perversion, car les fruits sains mûrissent au plus haut de l’arbre dans le soleil. Alors, évitons l’arachide.

Quant à l’oeuf, c’est un concentré de vie, où tout est en force et pas encore en substance. Chez un vieux coq, presque toute la force de vie est devenue substance. Mais l’oeuf n’a pas seulement beaucoup de vie, comme le grain qui contient toute la force de la plante, il porte aussi l’âme de l’animal; et le coq est un animal très passionnel. D’où l’effet aphrodisiaque des oeufs. Mollo donc pour les enfants et les ados. Pour l’adulte, jusqu’à un oeuf par jour, c’est acceptable.

 

Quelle est, selon vous, la juste attitude à adopter face à la nourriture ?

Je la résume par ce mot de Luther : Pèche fortement, mais crois plus fortement encore – Pecca fortiter, sed fortius crede. Autrement dit, choisir une alimentation modérée et saine comme précédemment indiquée pendant six jours de la semaine et pouvoir « pécher » le dimanche.

Le problème avec les régimes alimentaires difficiles et extrêmes (macrobiotique ou végétalisme/véganisme, où l’on ne mange ni viande ni aucun autre produit animal), c’est que leurs adeptes consacrent plus de pensées à la nourriture qu’à l’esprit. C’est faux de penser qu’un régime alimentaire strict va nous faire accéder automatiquement au monde spirituel. Ça prend une décision de l’esprit pour y rentrer, une décision constamment renouvelée. À l’inverse, ne manger que de la malbouffe et un excès de vitamine D peut freiner l’entrée dans le monde spirituel. Mieux vaut donc éviter les extrêmes, en choisissant une alimentation susceptible de soutenir aussi notre cheminement spirituel.

 

 

Couverture du livre Que mangeons-nous vraimen

*Médecin anthroposophe allemand, chercheur en biochimie (1921-2003). A participé à la recherche et au développement de médicaments anthroposophiques. Il est l’auteur principal de l’ouvrage de référence en médecine anthroposophique La médecine à l’image de l’homme (Friedrich Husemann/Otto Wolff, Paris, 1997). Auteur également du livre Que mangeons-nous vraiment ? (1998), que vient de rééditer la maison d’édition Perceval. Livre-1

 

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