De la Société dans le monde: À la recherche de ce qui nous unit

De la Société dans le monde: À la recherche de ce qui nous unit

Chers membres et amis de la Société anthroposophique au Canada,

Étends la main. Touche le sol. Qu’est-ce que tu sens ?

Colle ton oreille contre l’arbre qui dort de son sommeil hivernal. Qu’est-ce que tu entends ?

Partout autour de nous, la nature semble dormir dans sa tombe. Sous son manteau blanc, la terre elle-même paraît figée, pétrifiée. Les arbres nous révèlent leur charpente squelettique. Le gel enrobe l’espérance des bourgeons endormis. Dans la boue du lac, la grenouille ensevelie semble dépourvue de vie. L’ours, dont la respiration est à peine perceptible, hiberne, allongé dans sa tanière. Ici, au plus fort de l’hiver, il semble que la vie a abandonné la terre.

Et pourtant, en dirigeant notre attention sur cette absence apparente de vie, nous pouvons ressentir au sein des phénomènes de cette mort mi-hivernale la promesse d’un renouveau. Pénétrant tout ce qui donne l’apparence de mort, il y a Celui qui prépare la nouvelle naissance. Sans aucune discrimination, le Porteur de vie s’est uni à l’ensemble du manteau de la terre, éveillant peu à peu la vie là où cet éveil s’avère possible. Une chaleur invisible se met à pénétrer les tendres racines des arbres, engendrant la circulation de la sève. Les bulbes immobiles se mettent à frétiller. L’ours s’éveille. La vie imprègne le corps inerte de la grenouille. Partout là où la nature veut s’ouvrir à un nouveau devenir, cette Présence, réalisant sa promesse, se met à activer la vie à partir de la substance qui semblait morte.

Tout dans la nature nous appelle à percevoir la merveille de cet Éveil, qui imprègne toute substance, qui remplit le monde d’une lumière invisible. Nous connaissons bien notre sentiment de joie en constatant le retour du printemps. Le parfum que dégagent les premiers remous de la terre, le premier chant de l’oiseau perché sur sa branche encore gelée, les sonorités argentées que produit la fonte des neiges. Tous ces phénomènes touchent les profondeurs de notre être. Nous aussi, nous ressentons comment, silencieusement, nous sommes réchauffés par Celui qui active éternellement la vie. Mais trop souvent, nous perdons de vue le lien qui unit le Porteur de vie à tous les êtres qui reçoivent la vie.

L’Être omniprésent de la vie imprègne tout. L’ampleur de sa présence est telle qu’il en devient invisible à nos yeux. Et pourtant, nous sommes profondément touchés par chaque exemple de cette réapparition de la vie. Chaque éveil, chaque ouverture à la vie nous émeut : chaque fleur que nous voyons éclore, chaque feuille qui s’ouvre, chaque chant d’oiseau, le parfum printanier de la terre – tout cela nous touche, et notre âme y répond. Mais rien de tout cela ne serait possible sans l’action omniprésente du Porteur de vie – la Lumière qui imprègne la substance. Lorsque le geste de Sa main suscite la vie, nous sommes profondément touchés, mais Il reste invisible à nous yeux. Le chant de la Nature nous émeut, mais nous n’entendons pas Sa voix.

Avec chaque renouveau, chaque naissance, nous nous trouvons confrontés à la tension qui existe entre ce qui pourrait être et ce qui est, entre l’infinitude du possible et la finitude de ce qui qui se manifeste à nos yeux. L’immensité des possibilités de l’esprit et les contraintes qu’elles doivent subir lorsqu’elles assument des formes matérielles nous inspirent à la fois joie et tristesse. « Être humain, » cela veut dire s’efforcer de servir de pont entre les deux. Le défi est omniprésent. Il demande que nous reconnaissions, de plus en plus, la réalité spirituelle qui cherche sa place parmi nous. Il demande également que nous reconnaissions ce qui entrave sa capacité de se manifester. Nos vies terrestres sont imprégnées de cette tension entre, d’une part, la volonté qu’ont les êtres spirituels de se manifester et, d’autre part, les forces de résistance qui tentent d’empêcher cette manifestation.

Nous nous émerveillons devant la naissance d’un enfant, devant la présence de tout ce que pourrait devenir cet individu qui vient de faire son apparition parmi nous. Nous ressentons en nous-mêmes une aspiration – nous voulons protéger et prendre soin de ce potentiel. Nous sommes conscients que le fait même de vivre va imposer des limites à ce qui pourrait être, et nous faisons tout ce que nous pouvons pour retarder ces obstacles. Nous voulons empêcher que ce miracle qu’est le nouveau-né soit plongé trop rapidement dans l’existence.

En 1922, tout ce que Rudolf Steiner s’efforçait de faire apparaître dans le monde terrestre, son effort de faire naître l’Être Anthroposophia, tout cela se trouvait confronté à cette tension fondamentale. Depuis des années, il avait soigneusement préparé l’apparition imminente de cette grande Présence, de cet Être qui cherchait à trouver sa demeure parmi les êtres humains. Et, comme avec chaque processus de gestation, cette préparation nécessitait de la protection. Cette enveloppe protectrice a été créée par ceux qui avait saisi la signification de ce qui voulait venir au monde. Pendant que toute l’Europe était plongée dans le chaos incompréhensible d’une guerre inimaginable, suivie d’une pandémie globale dévastatrice, il incombait à cette communauté d’êtres humains, qui étaient sensibles à l’approche de cette Présence, de créer un corps dans lequel cette impulsion pouvait commencer à se manifester. C’est grâce aux efforts de ces individus qu’Anthroposophia a pu naître parmi les êtres humains.

Avec le temps, cette nouvelle Présence a pu commencer à prendre forme. Elle a pu se manifester, se mettre à développer son propre langage à travers les Drames-Mystères et toutes les impulsions artistiques qui leur étaient reliées. Pendant quelques décennies, avant l’an 1922, ce processus de manifestation de la Présence s’est concrétisé de plus en plus, effectuant un grand bond en avant avec la construction du Goethéanum, qui a été terminée en 1921 et qui représentait un véritable « signe de cette Présence. » Or, cette grande Présence énigmatique allait demeurer en silence sur sa colline, attendant la consécration qui, en fin de compte, ne viendrait jamais. Car, avec cette manifestation, l’anthroposophie n’était plus une impulsion protégée par ceux qui y étaient intimement liés. Elle se tenait dorénavant dans le monde, visible, et n’a pas tardé à devenir la cible de tempêtes d’incompréhension, voire de haine, qui finiraient par provoquer sa destruction à la fin de l’année 1922.

Mais cette manifestation de la Présence dans le monde n’était pas limitée à la grande construction en bois qui lui avait été destinée. Car la puissance de cette Entité a pénétré, et continue de pénétrer, dans la culture humaine. Des individus dont le cœur était enflammé par la présence de cet Être aspiraient à devenir des véhicules, des médiateurs, cherchant des possibilités lui permettant de se déployer parmi les êtres humains. Des initiatives ont vu le jour, à l’époque et encore aujourd’hui. Les individus dont le cœur était inspiré par la puissance et la majesté d’une Présence qu’ils pouvaient deviner ont renforcé cette Présence, mais en même temps, ils ont aussi entravé sa manifestation.

Animés d’un grand dévouement, faisant preuve d’une capacité de sacrifice quasi inimaginable, ces individus ont consacré leurs vies à rendre possible l’incarnation d’Anthroposophia. Et au cours du siècle dernier, on a pu constater les multiples exemples de ce service indéfectible qu’on Lui a consacré. La prolifération extraordinaire d’initiatives, partout dans le monde, en est la confirmation. Et pourtant, maintenant que nous approchons la fin de ce premier siècle de dévouement et d’engagement, nous ne pouvons pas ignorer le fait que ces efforts, qui étaient à l’origine unis en un tout, ont subi une sorte de différentiation.

Lorsque nous tentons de former une image de l’arrivée de l’Être Anthroposophia dans le monde au cours de ce siècle qui tire à sa fin, ce qui apparaît, c’est plutôt l’image d’une multiplicité. Les différentes initiatives ont revêtu les caractéristiques individuelles de leurs initiateurs. En entamant ce nouveau siècle, nous sommes confrontés par une image hautement diversifiée de cet Être spirituel remarquable. Et à l’intérieur de cette diversification, des faiblesses d’interconnectivité se sont manifestées. Il s’est produit un manque de clarté quant aux liens unissant Ses multiples manifestations.

Quels sont, par exemple, les liens unissant les différentes Sociétés nationales et la Société anthroposophique universelle, l’École de Science de l’esprit et la Société anthroposophique, les Sections et les initiatives ? Peut-on concevoir ces manques de liens comme représentant autant de possibilités de croissance et de maturation que nous sommes appelés maintenant à reconnaître et à cultiver ? C’est précisément la nature et le caractère de ces phénomènes que la direction au Goethéanum veut explorer dans ses efforts de préparer la venue du nouveau siècle.

Malgré les énormes défis que Rudolf Steiner et Anthroposophia ont dû confronter il y a un siècle, Rudolf Steiner a amené dans le monde extérieur, aux yeux du grand public, ce qui jusque-là avait été cultivé intérieurement. S’étant consacré à intégrer dans la vie terrestre des êtres humains de grandes impulsions spirituelles, il voyait clairement que le moment était venu de faire en sorte qu’Anthroposophia puisse trouver un lien avec l’ensemble de l’humanité. Il a fait de lui-même la voix de cette Entité, pour qu’Elle puisse parler à tous ceux qui voulaient l’entendre. Ce geste très significatif, qui consistait à amener activement l’anthroposophie devant un public de plus en plus nombreux, a créé en même temps une grande vulnérabilité – ce qui est en fait la réalité liée à toute incarnation.

Nous nous trouvons devant le seuil d’un nouveau commencement. Quelle imagination pouvons-nous cultiver pour nous représenter la volonté primordiale unificatrice d’Anthroposophia, pour qu’elle puisse se manifester parmi nous ? Peut-on concevoir que ce siècle a servi à Anthroposophia d’apprentissage, de découverte des manières dont Elle peut réellement vivre dans le monde, grâce aux efforts de tous ceux qui l’aiment ? Ou est-ce que nous l’avons perdue de vue, vivant comme nous le faisons parmi l’abondance des différentes « initiatives anthroposophiques, » ces centres d’activité anthroposophique ? Est-ce que nous sommes appelés maintenant à diriger notre regard au-delà de la simple dévotion ?

Qu’est-ce qu’Elle cherche à nous dévoiler de sa nature unificatrice primordiale ? Sommes-nous en mesure, sommes-nous préparés, à Lui permettre de se révéler dans Sa plénitude pour que nous puissions l’aider à se réaliser parmi nous au cours du siècle qui s’annonce ?

 

 

 

 

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