22 Mar De la Société dans le monde À la recherche de l’École
Chers membres et amis de la Société anthroposophique au Canada,
Cette année, nous avons tous vécu l’expérience d’une pesanteur dans l’âme occasionnée par l’imposition de la distanciation sociale.
En réfléchissant à cette absence de la présence de l’autre, nous devenons conscients de combien nous avions tenu pour acquise la possibilité de nous réunir avec nos collègues pour étudier l’anthroposophie. Nous pouvons apprécier maintenant combien la vie que nous partageons dans nos groupes, cet intérêt commun qui fait partie intégrante de notre vie, donne un sens à la vie. Ces moments de rencontre étaient devenus comme des chapelles auxquelles nous revenions, encore et encore, pour renforcer notre orientation face à un monde qui semble parfois entièrement désordonné. La possibilité d’être en présence les uns des autres dans nos groupes est un cadeau; là, nous nous soutenons mutuellement dans notre quête de la connaissance en explorant l’anthroposophie ensemble. Cette recherche de connaissance est devenue une ancre de stabilité dans les eaux troubles de la vie contemporaine.
Voilà donc la perte que nous avons ressentie cette l’année. À la surface, ce sens d’absence est dû à l’impossibilité de nous réunir en personne. Mais il y a un courant plus profond, sous-jacent; c’est la perte du soutien que nous nous fournissons mutuellement pour pouvoir maintenir notre équilibre face à la désorientation croissante de l’existence contemporaine. Et c’est justement cette ancre de l’anthroposophie que nous cultivons lors de nos réunions de groupe. Nous avons tous dû composer avec ce « mal de l’âme » occasionné par l’absence de la présence de l’autre.
Est-ce que ce temps de séparation pourrait nous aider à voir avec plus de clarté comment les structures qui sous-tendent nos biographies nous ont guidés vers la rencontre de « celui » qui a rendu possible notre lien avec l’anthroposophie? En y portant bien attention, nous pouvons reconnaître que cette rencontre marque un point fort significatif dans nos vies, une porte d’entrée qui nous a permis de nous lier à cette coupe, ce corps, que Rudolf Steiner a fait descendre dans le monde sensible durant le Congrès de Noël de 1923/1924 – la Société anthroposophique. Cette croisée des chemins de notre biographie individuelle, qui fait aussi partie de la « biographie » de l’être qui se tient derrière l’anthroposophie, a opéré des changements fondamentaux dans nos vies. En jetant un regard sur notre vie avant cette rencontre, cette croisée des chemins, nous pouvons constater qu’il y manquait quelque chose d’essentiel, qu’il y avait un espace vide à l’intérieur de nous-mêmes. Mais cet espace, nous pouvons le concevoir aussi comme étant une coupe prête à accueillir ce qui peut se déverser en elle à partir de l’être qui se tient derrière l’anthroposophie – Anthroposophia.
Ces points d’intersection deviennent comme des jalons sur le chemin de la vie, des points où son cours habituel est réorienté pour devenir quelque chose de différent. Nous pouvons être reconnaissants envers « celui » qui a été le pont entre notre vie avant cette rencontre et notre vie après la rencontre. Nous pouvons pressentir, deviner intuitivement, une présence qui agit derrière ces événements. Nous ressentons qu’il y a une orientation cachée dans la configuration de notre biographie qui nous a guidés vers ce tournant dans nos vies. Rudolf Steiner attire souvent notre attention sur cette orientation invisible, ce processus de formation de notre destinée.
Dans notre vie habituelle, celle dont l’existence se réveille le matin et se voile lorsque nous nous endormons, il est possible de repérer ces points de touche. Et chacun de ces points peut revêtir une profonde signification pour la lecture de notre propre histoire. Mais, même si nous arrivons à lire notre biographie, il est bien plus difficile de la comprendre. Comprendre « pourquoi » est en effet un processus plus ardu. Il est certes possible de percevoir la nature complexe et même majestueuse de notre biographie sans pourtant nous demander pourquoi elle a été ainsi configurée. Comment se fait-il que nous ayons été guidés vers la rencontre de celui qui allait nous ouvrir le chemin de l’anthroposophie? Comment se fait-il que nous n’ayons pas fui cette rencontre? Pourquoi avons-nous pris la décision de fouler ce chemin qui a « reconfiguré » notre existence?
Autant de questions qui demandent un niveau de perception bien plus subtil, une perception qui perce intuitivement au-delà de notre « vie connue », celle qui vient au monde à la naissance et qui se voile de nouveau à l’heure de la mort. Nous sommes appelés à cultiver l’art de percevoir les subtils motifs qui sous-tendent les limites de cette « vie connue ». Car ce sont ces courants invisibles qui agissent dans nos vies pour faire apparaître ces points significatifs. Rudolf Steiner nous incite à percevoir de cette nouvelle perspective que ce qui a configuré nos vies, ce qui nous a guidés vers l’anthroposophie, n’a rien à voir avec notre « vie connue ». Cela surgit plutôt à partir d’intentions qui coulent sans entrave de vie terrestre en vie terrestre. Lorsque s’éveille en nous la conscience de ces courants sous-jacents, alors surgit également en nous une aspiration à connaître – à acquérir une compréhension qui ne peut pas être saisie dans le monde des sens. Cela nous pousse à chercher une connaissance qui ne peut venir que de l’intérieur de notre propre âme. Nous aspirons à comprendre non seulement le monde sensible, mais à découvrir aussi une présence cachée, la continuité du soi qui réapparaît avec chaque nouvelle incarnation. Et cette quête de la connaissance nous fait avancer d’un degré sur notre chemin et nous incite à entamer la voie de la connaissance intérieure.
Ce nouveau seuil que nous indique Rudolf Steiner ouvre la voie à toute une gamme de pratiques pour nous, ses élèves spirituels. Il offre de multiples façons d’entreprendre cet apprentissage intérieur. Et ici aussi il y a une nouvelle « rencontre ». En explorant la richesse d’indications données pour approfondir notre vie intérieure, nous « reconnaissons » une voie que nous devinons intuitivement comme étant celle qui nous convient personnellement. Pour certains, cette découverte intime peut devenir le cadeau précieux qu’ils cultiveront pendant toute leur vie. Pour d’autres, une porte intérieure s’ouvre sur une autre porte. Et le sentiment d’être devant un troisième seuil peut surgir dans l’âme, une troisième passerelle. Et nous sentons alors le besoin de trouver une communauté de collègues pour nous accompagner sur ce chemin intérieur. Les communautés de nos groupes anthroposophiques, qui étaient devenues pour nous des soutiens dans notre effort de comprendre le monde, deviennent maintenant des communautés d’individus désireux de partager ce cheminement intérieur avec nous.
Cette recherche se transforme en une quête, la quête de retrouver le cercle de sœurs et frères auquel nous appartenons. Cela constitue un des organes de l’École des nouveaux mystères que Rudolf Steiner a évoquée pendant le Congrès de Noël et qui est devenue une réalité dans le monde au cours des mois qui ont suivi le Congrès – l’École de Science de l’esprit. Et nous voilà face à d’importantes énigmes. Avec la naissance de l’École de Science de l’esprit, Rudolf Steiner ne se qualifiait plus comme professeur, mais comme frère au sein d’une communauté de sœurs et frères. Il s’agit d’un grand mystère. Il a dit très clairement qu’il ne s’agissait pas simplement d’une école ésotérique, mais du rétablissement d’une interaction vivante d’êtres humains avec des êtres spirituels dont l’intention est d’opérer une transformation de la culture de l’humanité. Pour participer activement à ce processus de transformation – une entière reconfiguration des sociétés humaines – chacun de nous doit assumer la responsabilité de nos obstacles personnels intérieurs qui empêchent ce processus de transformation. Et pour que puisse se constituer une communauté vouée à ce processus de renouvellement, il faudrait que deux conditions soient remplies.
Premièrement, il faut s’engager consciemment à être, avec la communauté de sœurs et frères, porteur de cette impulsion des nouveaux mystères – l’impulsion qui cherche à reconfigurer toutes les relations humaines. Lorsqu’on fait la demande de devenir un participant actif de ce courant des mystères de l’avenir, de cette École de Science de l’esprit, nous nous trouvons aux prises avec une interrogation personnelle fondamentale qui nous amène devant la deuxième condition. Est-ce que je m’engage à entreprendre la tâche de me transformer moi-même de manière à être reconnu, vu, comme un individu qui veut agir pour faire vivre cette nouvelle humanité? Est-ce que je m’engage à être un représentant de l’anthroposophie? Est-ce que c’est ce double engagement qui, en tant qu’intention, constitue la porte qui m’ouvre l’accès à l’École?
Et ayant reconnu ces intentions, nous nous trouvons immédiatement confrontés à notre incapacité de les réaliser! Nous sommes confrontés par tout ce que nous portons en nous comme obstacles, imprégnés en notre âme par l’époque dans laquelle nous vivons. Ce sont les barrières qui se dressent devant nous et auxquelles l’École veut s’adresser grâce à sa structure même. Le premier pas sur le chemin qui nous mène vers la possibilité de devenir un représentant de l’anthroposophie est justement l’acte de reconnaître ces obstacles personnels et d’en assumer la responsabilité. Ce chemin, on l’emprunte conjointement avec le cercle de nos sœurs et frères au sein de l’École à travers les leçons de la Première Classe. Il s’agit d’une préparation, revécue maintes et maintes fois, pour nous permettre de faire face aux obstacles que nous apportons avec nous dans notre incarnation présente. Et c’est justement cette préparation qui nous permet de faire le vœu, celui d’être des collaborateurs dans la création d’une nouvelle culture humaine, une culture qui repose sur des principes affirmant que l’être humain est d’essence spirituelle et non pas uniquement de nature matérielle.
Et alors, nous serons prêts à faire le troisième pas. En premier lieu, nous avons fait le vœu de devenir un représentant vivant de l’anthroposophie dans le monde; ensuite nous avons reconnu notre responsabilité par rapport à tous les obstacles personnels que nous avons apportés avec nous dans cette vie, et nous avons assumé la tâche d’entreprendre un cheminement intérieur apte à nous permettre de les surmonter. C’est alors que nous pouvons chercher les collaborateurs qui nous appuieront dans la réalisation de nos intentions, des individus qui partagent le même engagement envers la vie. Nous reconnaissons ainsi ceux qui cherchent à spiritualiser leurs tâches quotidiennes comme nous voulons le faire nous-mêmes. Nous trouvons ceux avec lesquels nous pouvons assumer nos engagements envers la transformation de la culture humaine, l’élevant au-dessus de son fondement matériel pour la faire réaliser ses possibilités spirituelles.
Ce dernier volet est le travail des Sections de l’École de Science de l’esprit. Au sein de ces Sections nous pouvons engager nos volontés individuelles, mais dans un contexte où d’autres aussi cherchent à engendrer ce renouvellement de l’activité humaine. Ensemble, nous faisons changer la direction du navire de la culture, le détournant de ses horizons terrestres pour le diriger vers les étoiles spirituelles qui veulent nous guider vers un avenir nouveau. Voilà la puissante impulsion du nouveau mystère inauguré par Rudolf Steiner lors du Congrès de Noël et réalisé le mois suivant avec la tenue de la première leçon de l’École de Science de l’esprit.
Et c’est dans cet espace de responsabilité, constitué de communautés de sœurs et frères engagés, que nous voulons entrer lorsque nous faisons la demande de devenir membre de l’École de Science de l’esprit.
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