L’Atelier d’art social de Montréal a 33 ans « Je ne serais pas qui je suis sans celles et ceux que j’ai rencontrés… »

L’Atelier d’art social de Montréal a 33 ans « Je ne serais pas qui je suis sans celles et ceux que j’ai rencontrés… »

Michel Dongois, en collaboration avec Denis Schneider

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Denis Schneider

L’Atelier d’art social de Montréal vient de célébrer son 33e anniversaire. Trente-trois ans, le grand rythme du couple mort-résurrection… Depuis sa fondation, le 28 mai 1984, il a rassemblé plusieurs centaines de personnes à travers des conférences, ateliers, exercices artistiques et échanges biographiques. « L’Atelier est aujourd’hui arrivé à un tournant, un temps de chrysalide. Après tous les efforts des participants et collaborateurs qui ont formé la chenille, comment amener un nouveau papillon à se déployer ? Quelle que soit la réponse, deux grandes questions se posent avec acuité : que faire à présent et à quel besoin répondre ? », s’interroge son fondateur, Denis Schneider.

C’est au retour d’une formation qu’il effectua en 1981 avec femme et enfant au Centre de développement social, à Emerson College, en Angleterre, que Denis Schneider décide de fonder l’Atelier, pour mettre en pratique ce qu’il avait appris. Cette formation, ce fut l’une des plus belles années de ma vie, raconte-t-il. « J’ai rencontré la biographie, découvert les concepts d’art social et de tripartition sociale. J’étais littéralement émerveillé. » Une interrogation préoccupe alors celui qui a étudié la sociologie et les beaux-arts. « Suis-je un artiste ou un travailleur social ? C’était la grande question de ma vie. Et voilà qu’avec l’art social, j’apprenais à conjuguer les deux ! »

Le tout premier atelier, rassembleur, s’est déroulé en décembre 1983, à la résidence Sophie-Barat. L’une des lois de développement des initiatives consiste à savoir reconnaître quelque chose de neuf et de vivant. « À cet égard, l’action et la confiance totale de Lucie Gervais, consultante et entrepreneure, ont été décisives. C’est elle qui a donné le coup d’envoi en mettant à notre disposition une partie de son local », se souvient Denis Schneider. L’acte de naissance officiel de l’Atelier d’art social, un organisme sans but lucratif, a suivi cinq mois plus tard, en mai 1984.

L’initiative doit trouver sa place et le projet, entièrement nouveau, peut alors sembler trop ambitieux pour certains. Mais Denis Schneider a confiance en son étoile, un sentiment renforcé par ces paroles du chercheur astrosophe Willi Sucher qu’il a faites siennes : « Si vous demandez quelque chose au monde spirituel, il va toujours vous répondre ». Ce que j’en comprends aujourd’hui, ajoute-t-il, c’est que toutes les mises à l’épreuve n’allaient pas manquer de se manifester.

Créer une initiative, d’accord, mais quel champ d’action définir pour l’art social ? Quel paysage spirituel préparer pour le faire vivre ? « Il est apparu rapidement que les ateliers de biographie Faire de sa vie une oeuvre d’art, inspirés de l’expérience du Dr Bernard Livegoed, en Hollande, allaient nourrir le coeur de notre travail », fait observer Denis Schneider. Dès les débuts, les figures de proue internationales de l’art social, comme Coen van Houten et Christopher Schaeffer, consultants en entreprise et tripartition sociale, viennent donner conférences et ateliers, dont ceux traitant de l’art de prendre une initiative. De grands noms apportent aussi leur contribution inspirante, comme Athys Floride sur la question contemporaine du mal et la quête continue de Faust. René Querido, dans le même sens, aborde les grands défis actuels (animalisation du corps, végétalisation de l’âme, mécanisation de l’esprit). L’Atelier d’art social représentait un point de rayonnement partagé ailleurs dans le monde, notamment en Angleterre, aux États-Unis et en France.

Chantal Trudel et Marcel Dulude, artistes, figurent parmi les signataires, aux côtés de Denis Schneider, « avec l’appui moral de Lucie Gervais et d’Andrée Lanthier, eurythmiste à l’Atelier; cette dernière avait porté intérieurement le projet avec moi et le porte toujours », précise-t-il. Très vite d’autres personnes s’associent avec coeur à l’entreprise, selon leur expertise propre. France Beaucage apporte son intérêt pour les questions économiques et la tripartition sociale. Micheline Cossette, peintre, explore la tripartition sociale en faisant parler les couleurs. Michel Bourassa partage mime, théâtre et poésie en lien avec la philosophie. Alain Bouilhaud, artiste visuel, « image » les grands chefs-d’oeuvre de la Renaissance et prépare des expositions d’envergure. Tous expérimentent le travail biographique en résonance avec la question sociale; tous aussi se joignent à la recherche sur les rythmes planétaires. La recherche astrosophique repose sur le principe que, dans sa biographie et avec les questions qui l’habitent, la personne contribue à faire bouger les planètes. À la mort apparait alors, dans la position de ces planètes, un tableau des événements importants de la vie. Un atelier a porté sur le rythme de 17 ans, un autre sur l’importance des 42 ans dans une vie humaine.

Féminin-Masculin

Les ateliers Féminin-Masculin, de Corrie Mienis, apportent un nouveau champ d’investigation sur ce thème si actuel. Les femmes du groupe Ariadne de Hollande explorent d’une façon nouvelle des questions de connaissance de soi qui nous dégagent d’une identification trop exclusive au corps physique. Lors des rencontres, chaque individu d’un groupe d’une vingtaine de personnes (femmes et hommes en nombre égal) a pu observer dans ses corps, physique, vital et de conscience, cette grande polarité à l’œuvre. En 2009, Isabelle (modelage) et Jean-Pierre Caron ont approfondi la question. À partir d’images de la création de l’être humain et de la mythologie qu’ils travaillaient eux-mêmes, les participants ont tenté de cerner leur type de femme ou d’homme. Les animateurs avaient introduit leur propos par ce mot de Victor Hugo : « L’homme se tient là où finit la terre; la femme, là où commence le ciel ». Les ateliers traitant d’un sujet aussi grave faisaient cependant une bonne place à l’humour, dans une ambiance parfois festive.

Chaque rencontre humaine nous en dit un peu plus sur qui nous sommes. Lorsqu’on organise un atelier sur le thème de la polarité des grands gestes de la vie sociale – donner et recevoir, porter et supporter, par exemple -, on constate que la rencontre fait apparaitre un élément d’ordre relationnel. « Là, nous sommes dans le féminin, où l’on privilégie le travail d’équipe, le pont tendu vers les autres, la résonance avec eux », explique Denis Schneider, qui évoque les ateliers traitant des grandes oeuvres d’art, à partir de tableaux comme Les trois grâces ou La Déposition, de Raphaël. « Voilà une célébration de l’Éternel féminin, que notre monde ne reconnait pas suffisamment. ».

Dans l’initiation masculine en revanche, l’homme est seul pour traverser les épreuves. À ce sujet, des ateliers ont éclairé le destin d’êtres comme Nicolas Fouquet, ministre des finances de Louis XIV, Henri Dunant, fondateur de la Croix-Rouge, Nelson Mandela, le vainqueur de l’apartheid. D’autres ont porté sur François d’Assise, troubadour, jongleur et chevalier, et sur les Templiers, précurseurs de la tripartition sociale. Sans oublier Jeanne d’Arc, qui a cumulé les deux initiations, la féminine et la masculine. Autant d’artistes sociaux porteurs d’un trésor moral, qui connurent de dures épreuves et, pour certains, la prison et la torture. Triomphants, ils ont apporté à leur société, et souvent à l’Histoire, un ferment de renouveau.

La rose et le jardin

L’art social se déploie à la jonction de l’individuel et du social, dans la mesure où il s’agit d’amener la personne à la conscience de soi tout en prenant soin d’autrui; de cultiver à la fois la rose et le jardin par la co-création. « Seul, je ne pourrais devenir un artiste social, mais dans l’échange avec les autres, une nouvelle substance apparait. Tout l’art social repose sur cette réalité », indique Denis Schneider.

Le travail en commun comporte aussi ses exigences, poursuit-il. « L’échange avec autrui implique un certain sacrifice de chacun, l’une des conditions pour qu’un élément nouveau apparaisse au grand jour. L’intéressant n’est donc pas uniquement ce que chacun apporte et maîtrise déjà, mais ce qui naît dans l’intervalle, dans l’espace créé entre les personnes. » C’est seulement au terme de ce processus que chaque participant peut être amené à cosigner l’oeuvre entreprise en toute liberté avec les autres. L’ouverture à ce qui est neuf, voilà l’élément le plus important de la co-création, souligne le fondateur de l’Atelier d’art social. « C’est là un fil d’or qui illustre aussi ce monde nouveau que des poètes comme Novalis et Saint-Exupéry ont pressenti. »

L’Atelier a grandi dans la Société et la communauté anthroposophiques, car l’anthroposophie, indiquait Rudolf Steiner, constitue un terrain fertile pour l’art social. « Elle a été sa maison, son ventre en quelque sorte », précise pour sa part Denis Schneider. Il fallait d’abord expérimenter en petits groupes avant d’espérer assurer une présence active au monde. Ainsi, de 1987 à 2003, l’Atelier a conçu des ateliers pour rejoindre les professeurs des cégeps professionnels, autour de la biographie et de la façon d’aborder l’adolescence.  Il a également organisé diverses activités pour des gérants de stations-services et de lave-autos, en vue d’améliorer la qualité de vie au travail.

Des conversations philosophiques avec Michel Bourassa, professeur de philosophie, démarrent en 2001. À l’occasion du tricentenaire de la Grande paix de Montréal (1701), qui a donné un nouvel élan aux relations franco-amérindiennes, l’Atelier voit naître le groupe de la Paix, un atelier d’écriture en équipe, cheminant de pair avec celui des conversations philosophiques. Les 12 nuits saintes au temps de Noël ont aussi fait l’objet d’exercices d’écriture poétique.

Les grands projets d’art social se concentrent sur une question fondamentale : comment se parler et penser ensemble ? Dans cet esprit, l’Atelier a mené une recherche sur les 12 points de vue de Rudolf Steiner. Elle a débouché sur un travail d’écriture poétique et de compréhension sociale, avec les parents et professeurs des écoles Waldorf de Montréal, Chambly, Victoriaville et Waterville. À cela s’ajoute le travail de biographie d’entreprise appliqué aux écoles Waldorf, notamment avec la création de l’énoncé de la Pierre de fondation de l’École Rudolf Steiner de Montréal. Professeurs, parents et membres du conseil d’administration ont participé à cet exercice de co-création.

Solidarité Ahuntsic a organisé, en 2004, Parlons-nous de santé, un projet public qui s’est étalé sur plusieurs mois, mené en collaboration avec les professeurs de l’Université du Québec à Montréal et d’autres organismes du quartier. Il a rassemblé des membres de diverses communautés culturelles. L’approche d’écriture artistique cultivée à l’Atelier d’art social a permis aux participants de mieux se connaître. Par ailleurs, Michel Bourassa, lui-même atteint de cancer de 1997 à sa mort en 2017, aux prises avec des douleurs chroniques, s’est chargé d’aider les gens en détresse par divers ateliers et conférences qu’il a donnés au Québec, en France et en Suisse, autour du thème Vivre avec une maladie grave. Il faut ici tout particulièrement souligner le rôle de pilier de l’Atelier qu’a joué Michel Bourassa pendant presque 30 ans, en dépit de sa maladie « Il a fait équipe avec moi lors de toutes les activités publiques dans le monde. Il portait seul le dossier administratif relié au statut d’organisme de charité de l’Atelier », rappelle Denis Schneider.

Contributions personnelles

Au fil des ans, des individus ont présenté à l’Atelier d’art social le fruit de leurs propres recherches. En voici trois exemples :

-Anne-Marie, artiste, et Chris Heintz, qui s’intéresse aux questions économiques, sont venus présenter à Montréal un atelier sur l’évolution de l’argent. Il comprenait des exercices artistiques;

-Isabelle Val de Flore, architecte et collègue d’Athys Floride et d’Andrée Lanthier, a partagé sa recherche sur l’individualité de Jean-le-Baptiste;

-L’auteur de ces lignes, Michel Dongois, a abordé le thème de la lumière qui éclaire les ténèbres, à partir de l’histoire de la Rose blanche (Die Weisse Rose), un mouvement de résistance allemand au nazisme.

Alors que l’Atelier d’art social se penche sur son avenir, Denis Schneider reste avec une certitude acquise au fil d’un travail de 33 ans, notamment sur le mystère de la biographie humaine. « Je ne serais pas qui je suis sans tous ceux et celles que j’ai rencontrés », résume-t-il. De même, l’Atelier ne serait pas ce qu’il est devenu sans ses nombreux collaborateurs, dont plusieurs administrateurs au fil des ans, conclut-il : Jeanne Arweiller, Claude Gendron, Nadia Abdelahad, Diane Cadrin, Rachelle Sigouin et Gérard Chagnon, secrétaire et conseiller depuis plus d’une décennie. Plusieurs collaborateurs ont aujourd’hui franchi le seuil, dont Michel Bourassa, Claude Drainville, Lucie Gervais, Léon René de Cotret et Chantal Trudel.

 

 

1 Comment
  • Marguerite Doray
    Posted at 20:58h, 23 mars Répondre

    Bon Anniversaire à l’Atelier d’Art Social, à son fondateur, Denis, et à tous ceux et celles qui ont porté cette initiative à coeur durant ces trente-trois années. Que le silence du temps de chrysalide permette d’entendre la réponse des mondes à la question fondamentale de l’avenir de l’Atelier d’Art Social.
    Toutes mes meilleures pensées t’accompagnent, Denis.

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