Le retable d’Issenheim

Le retable d’Issenheim

Je suis très heureuse de pouvoir annoncer la parution d’une traduction en anglais du magnifique livre de Michael Schubert intitulé : « The Isenheim Altarpiece » (Le retable d’Issenheim). L’original avait été publié en allemand en 2007 et avait reçu un accueil très favorable. Ce retable en forme de triptyque a été peint il y a plus de 500 ans par Matthias Grünewald, artiste d’une imagination et d’un technique exceptionnels, dont on connaît peu de chose. Commandé par un abbé antonin au tournant du seizième siècle et monté dans la chapelle du monastère d’Issenheim, le retable est vite devenu une source d’espoir et de guérison pour les malades de l’hospice atteints du « feu de St. Antoine », une maladie fatale contractée par la consommation de seigle contaminé. Une icône d’harmonie et de grâce céleste, cette peinture peut servir d’antidote contre les soucis quotidiens occasionnés par la turbulence et l’agitation globales de notre époque. Le nombre croissant de visiteurs du musée de Colmar, en France, où ce polyptyque est actuellement exposé, témoigne de sa réputation comme étant une importante création artistique de nature transcendante.

On dit qu’une véritable œuvre d’art opère d’elle-même une transformation dans l’âme du spectateur. Cette intention est implicite dans le retable. Comme tant d’autres grandes peintures religieuses de la renaissance, qui unissent les valeurs esthétiques et spirituelles, le mariage de beauté et de vérité de ce retable se communique à travers un mélange inspiré de couleurs et de formes. La beauté de ces images bibliques et les mystères qui les accompagnent ont le pouvoir de nous couper le souffle, touchant des recoins de notre âme qui n’ont jamais été atteints auparavant. Nous nous trouvons envahis par un sentiment d’émerveillement, de paix et de reconnaissance. Cette expérience de la beauté dépasse le pouvoir des mots; elle occasionne une saisie instinctive de la vérité qu’elle renferme; le mot grec aletheia, qui signifie ce qui n’est pas caché, implique une révélation de quelque chose qui existe dans les profondeurs, en dessous du niveau de ce que l’œil peut percevoir.

La puissance de cette expérience a été confirmée dans le vécu même de l’auteur, Michael Schubert. Il a été profondément secoué et ébranlé, touché jusqu’au tréfonds de son être, lorsqu’il s’est trouvé face au panneau du retable représentant la crucifixion; il venait en effet de découvrir le musée de Colmar, situé à moins d’une heure de route de chez lui. Jusque-là, il n’avait pas développé de lien particulier avec les traditions religieuses ni avec l’église, mais là, il a vécu instantanément un moment de révélation – ayant la certitude immédiate que chaque détail de la peinture, chaque geste, chaque rouleau de parchemin, renfermaient une profonde signification.

Son âme a été inondée sur le coup de questions qui allaient déterminer la direction que prendrait sa vie durant les quarante prochaines années; il allait se mettre à élucider l’histoire et la signification du retable. Préservé par miracle au cours des siècles, ayant été démonté et transporté entre l’Allemagne et la France, échappant à la destruction de la guerre et à l’avarice des rois et des collectionneurs, le retable allait pouvoir accomplir son destin – celui de procurer le bien-être spirituel de ceux qui allaient être appelés à le contempler.

À l’époque de Grünewald, la foi et la croyance aux miracles régnaient parmi la population; toutefois, l’artiste semble avoir possédé une nature plus évoluée, et il est même possible qu’il ait été membre d’une société secrète. Les volets du retable, en plus de dépeindre des scènes bibliques connues, offrent des représentations d’éléments empruntés au christianisme ésotérique. L’auteur n’a épargné aucun effort dans ses recherches pour découvrir le sens caché des innombrables détails qui constituent, comme il le dit lui-même, des « lettres d’un langage oublié » intégrées aux images peintes sur les panneaux.

Michael Schubert a adopté une approche scientifique goethéenne pour mener ses recherches, observant minutieusement chaque détail tout en gardant l’esprit ouvert jusqu’à en saisir le sens. Son expérience dans le milieu scolaire Waldorf avait formé son appréciation de la nature des couleurs, qui sont, selon Goethe, les gestes et la souffrance de la lumière. Il reconnaissait le fait que chaque couleur a un lien direct avec quelque chose de spirituel, et comprenait qu’une véritable peinture naît du jeu entre la lumière, l’obscurité et les couleurs. Grünewald avait capté un élément spirituel lumineux et rayonnant dans ses couleurs, et cela se voit de manière particulièrement frappante dans la représentation glorieuse de la résurrection dont « l’éclat radieux possède une qualité qui s’apparente au rayonnement du soleil. »

C’est dans une attitude de reconnaissance, de compréhension et d’amour que l’auteur a écrit ce livre; ces qualités se révèlent dans tous les aspects de la vie de l’auteur, et il les a manifestés initialement dans son travail auprès d’enfants ayant des troubles de comportement. J’ai eu le privilège de participer par trois fois à des ateliers qu’il donne depuis une dizaine d’années partout dans le monde, assisté de sa femme Inka, et j’ai été émerveillée par sa maîtrise du sujet, par sa capacité de dévoiler les subtilités cachées dans le retable, et par l’envergure impressionnante de sa sagesse et de ses connaissances. Cette nouvelle édition anglaise du livre, augmentée et entièrement remaniée, est remarquable pour la qualité de l’impression, la richesse et la clarté des images saisissantes, et la beauté de la mise en page; le tout est à la hauteur de son contenu sacré. Ce volume est un exemple lumineux de ce à quoi Rainer Maria Rilke songeait lorsqu’il a dit que : « Notre tâche, c’est de montrer aux Dieux des choses humaines qui font rayonner de la lumière ! ».

Treasa O’Driscoll

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