Rencontre avec un descendant de Novalis

Rencontre avec un descendant de Novalis

Ici à Vancouver plusieurs événements ont eu lieu durant les Nuits saintes.

J’ai tenu un de ces événements dans mon appartement situé près du centre-ville. En préparation de cette rencontre, nous avions demandé aux participants de lire la conférence donnée par Rudolf Steiner le 22 décembre 1908 intitulée Le Mystère de Noël et Novalis le chercheur. Nous avions planifié d’explorer quelques-uns des poèmes de Novalis et échanger sur la lecture de la conférence.

Novalis était  le nom de plume de Friedrich von Hardenberg (1772 – 1802). En plus d’être poète, il était philosophe et homme de science. Dans sa conférence du 22 décembre 1908, Rudolf Steiner dit que lorsqu’il a vécu une tragédie qui l’a profondément secoué, la mort de sa jeune fiancée, Sophie von Kuhn (décédée à l’âge de 14 ans), les yeux spirituels du poète se sont ouverts, lui permettant de percevoir un vaste panorama d’événements cosmiques et terrestres du passé. Il a fait l’expérience du Christ comme étant la puissance grâce à laquelle le corps de la Terre sera transformé en corps du Christ.

Par un heureux hasard, un ami a découvert pendant les Nuits saintes que l’arrière-arrière grand neveu de Novalis, Klaus von Hardenberg, habite avec sa femme Betty dans la municipalité voisine de Maple Ridge. Le couple fabrique des bougies en cire d’abeille qu’ils vendent dans un marché local. Mon ami a visité son kiosque et lui a parlé de l’événement Novalis qui aurait lieu chez moi, et Klaus a tout de suite manifesté de l’intérêt. On lui a lancé une invitation, et il s’est présenté à la rencontre, apportant avec lui de nombreuses anecdotes sur la vie de son célèbre ancêtre.  

Betty et Klaus von Hardenberg

 

Klaus nous a montré des photos de la maison où Novalis est né, à Oberwiederstedt, situé à 40 kilomètres au nord-ouest de Halle, en Allemagne. La famille de Klaus avait renoncé à tout droit légal sur la maison, pour la laisser entre les mains de ceux qui allaient en entreprendre la restauration. La maison avait grand besoin de travaux, mais on a trouvé l’argent qu’il fallait, et à l’heure actuelle, Oberwiederstedt est connu pour son musée Novalis aussi bien que comme un centre mondial d’études sur le mouvement littéraire romantique allemand.

Klaus nous a également raconté que sa famille avait gardé en sa possession pendant des générations un portrait miniature de Sophie von Kuhn, que le frère de Klaus conservait précieusement dans un tiroir. Klaus était d’avis que cette miniature devrait être la propriété du musée d’Oberwiederstedt, pour que d’autres puissent l’admirer. Au bout de sept années de pourparlers, le frère s’est finalement rangé à l’avis de Klaus, et le portrait est maintenant de retour en Allemagne.

Plusieurs lecteurs trouvent de prime abord les poèmes de Novalis un peu simples et enfantins. Klaus soutient que les poèmes doivent être lus en allemand; il trouve que la plupart des traductions semblent fades. Lorsqu’il les lit en allemand, la mesure et les sonorités de la langue d’origine donnent aux images plus d’originalité et les rendent plus vivantes.

La mort de Sophie von Kuhn a marqué un tournant dans la vie de Novalis. Dans sa conférence sur Novalis et ses Hymnes à la nuit (26 octobre 1908), Rudolf Steiner décrit comment l’esprit de Sophie a lutté avec la vie intérieure de Novalis et a éveillé ses facultés suprasensibles. Novalis a tenu un journal du 18 avril au 6 juillet 1797. Il faisait des efforts conscients pour se souvenir de Sophie dans les moindres détails. Voici quelques lignes de ce journal :

Devant les yeux de mon âme, j’ai gardé une image de « Soffchen » – de profil, à mes côtés sur le sofa – avec son foulard vert – je l’évoque avec grande facilité dans de telles situations caractéristiques. Le soir, j’avais l’habitude de penser à elle fort ardemment.

Novalis croyait qu’il pouvait être uni à Sophie même si elle avait traversé le seuil. Dans le troisième Hymne à la Nuit, suivant une visite à la tombe de sa bien-aimée, il a écrit :

La colline s’était transformée en une nuée de poussière, et à travers cette nuée j’ai aperçu le visage glorifié de ma bien-aimée. L’éternité reposait dans ses yeux. J’ai pris ses mains dans les miennes, et les larmes se sont transformées en un lien scintillant que personne ne pouvait briser. Des milliers d’années se sont évanouies dans la distance comme une tempête. Mes larmes d’extase, tombant sur son cou, ont accueilli la nouvelle vie. Jamais je n’avais connu un tel rêve. À ce moment, et tous les moments depuis, je suis animé d’une foi éternelle, inébranlable, je crois en le ciel de la nuit et sa lumière – la bien-aimée.

 

Novalis est rentré chez lui rempli de joie.

Pendant les semaines qui ont suivi le décès de Sophie, il a vécu des moments de deuil intense et de solitude. Il savait qu’il fallait utiliser l’inaltérable réalité brute de la mort de Sophie pour enflammer son imagination, plutôt que ses émotions, et il a fini par rédiger les sublimes Hymnes à la nuitet ensuite les Chants religieux, plus intimes, plus personnels. Voici le quatrième Hymne :

Je voyage dans le passé

Et pour chaque douleur

Une brûlure agréable seulement

Un jour restera.

Encore quelques moments

Et je suis libre,

Et enivré

Me couche sur les genoux de l’amour.

Vie éternelle

Me soulève telle une onde,

Je contemple du haut de son sommet

Toi, là en bas.

Ton éclat doit disparaître

Sous ce monticule là-bas –

Une ombre t’apportera

Ta couronne de fraîcheur.

Ô, tire sur mon cœur, amour,

Jusqu’à ce que je parte,

Car, endormi, je

Pourrai continuer à aimer.

Je sens couler

Le flot rajeunissant de la Mort

En baume et en éther

Transformant mon sang –

Je vis à longueur de journée

Dans la foi et dans la puissance,

Et dans le feu saint

Je meurs toutes les nuits.

Dans sa conférence sur Novalis et ses Hymnes à la Nuit, Rudolf Steiner nous dit : « Nous voyons que Novalis comprenait comment l’âme humaine peut être transportée dans un monde supérieur. Pour Novalis, cette possibilité voulait dire que la conscience ordinaire d’éveil n’est qu’un fragment de la vie d’un individu et que la nuit, l’être humain quitte l’état de conscience diurne pour sombrer dans l’inconscience – en réalité, pour sombrer dans le monde spirituel. Il pouvait vivre intensément, et savoir que dans ces mondes de l’esprit où l’on entre pendant la nuit vit une réalité spirituelle supérieure; que les innombrables impressions sensorielles, même celles du soleil et de la lumière, ne représentent qu’un fragment des multiples mondes suprasensibles. Les astres, renvoyant clandestinement pendant la nuit la lumière du jour, ne brillaient pour son œil physique que d’une faible lueur, alors qu’intérieurement les vérités de l’esprit surgissaient dans sa conscience. Pour le clairvoyant, ces vérités apparaissent illuminées d’une lumière astrale éclatante lorsqu’il opère en lui-même la transformation nécessaire pour entrer dans cet état second. Durant la nuit, les vrais mondes spirituels se présentent devant Novalis et ainsi, la nuit lui devient de ce point de vue pleine de richesses ».

Notre rencontre avec Klaus a été un cadeau tout spécial des Nuits saintes. Il a partagé avec notre groupe plusieurs de ses expériences intimes qui transcendaient nos limites ordinaires du temps et de l’espace. Il nous a confié qu’il avait imprimé et lu la conférence de Rudolf Steiner durant la journée avant notre rencontre. Il n’avait jamais entendu parler de Rudolf Steiner, mais a pu affirmer que les paroles de Steiner résonnaient en lui à bien des niveaux.

Klaus vient toutes les semaines vendre ses bougies dans un marché local. Nous avons l’intention de lui rendre visite et acheter ses bougies, et, bien sûr, de garder le contact avec lui.

 

Musée Novalis à Oberwiederstedt

 

Susan Koppersmith

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